BLACK STROBE, C’EST LE PARISIEN ARNAUD REBOTINI AU CIVIL, ET UN SACRÉ ALBUM QUI DOIT BEAUCOUP À JOHNNY CASH ET À PEINE MOINS AUX LUBIES DE SYNTHÉS ANALOGIQUES. QU’EST-CE QU’ELLE A SA GUEULE? RÉPONSE À DOMICILE.
L’escalier de l’immeuble de Montmartre glisse vers de sombres entrailles. Une série de portes de caves, lourdes et marron, stoïques sous le faible wattage. Un frisson passe: quelles activités souterraines pourraient bien faire sortir ces cachots apparents de leur ancienne solitude? Quand Arnaud Rebotini plie son mètre 96 pour déclencher le sésame de son propre espace, un monde surgit. Dans huit mètres cubes -à vue d’oeil-, trois murs de synthés, la plupart vintage et ramenés d’eBay ou des années 70-80: c’est là que sir Black Strobe entretient ses fantasmes analogiques, dans une claustro à peine ventilée par un conduit en provenance du couloir. Ce n’est pas le premier décalage entre l’artiste parisien et sa musique: une gueule échappée de Rocky, comme sur la pochette du nouveau Godforsaken Roads (lire critique par ailleurs), et un tissu spirituel. D’où la photo prise dans une église voisine de ce quartier, à deux pas du cimetière montmartrois, où il réside et travaille. « Je suis catholique, j’ai fait ma communion sans aller jusqu’à la confirmation (sourire). Le nouveau disque a un côté un peu religieux et est nourri de références à Dieu et au diable, aux multiples tentations. D’une certaine façon, en pratiquant ce gospel inversé, je m’adresse au grand Hôte, celui dont on peut sentir le regard, dans un désir plutôt collectif. La force du blues comme celle de la religion, c’est de partir du quotidien -là je pense au protestantisme, à Calvin. Par définition, la musique possède une dimension mystique et est bien plus métaphorique que les autres arts. » Mais si Arnaud pratique le bénitier, c’est plutôt en version Johnny Cash, se risquant même à reprendre sur Godforsaken… son fondamental Folsom Prison Blues, daté de 1955.
Napalm Death
Rebotini découvre l’homme en noir via les albums produits par Rick Rubin dans les années 90. « J’ai alors fait le voyage dans sa discographie, devenant ultra fan: Cash est un gros défoncé-queutard et puis il est « appelé ». Il fait des albums pour le sexe et quand il veut s’apaiser, il passe à la country… Cash est aussi quelqu’un qui ne connaît aucune évolution vocale: il est d’emblée génial. Les disques indie-pop sont insupportables parce qu’ils n’ont aucune présence vocale. Moi, j’aime Howlin’ Wolf, le loup qui hurle (sourire). Cette incarnation des choses me touche et puis, physiquement, je ne peux pas incarner le petit mec timide. » On approuve sans réserve. Né en 1970 dans une famille de la classe moyenne -mère enseignante, père self-made man dans le commerce-, Arnaud quitte sa banlieue ouest pour Paris dans les années 80. « J’avais une soif de musique. Mon premier choc venait de James Brown qu’écoutait mon père, les cris et les interjections du mec. Après le soul-funk-blues, j’ai découvert The Jesus & Mary Chain, Sonic Youth, et le metal via la session de Napalm Death chez John Peel, le paroxysme de faire un morceau d’une seconde. Mais la France, contrairement à la Belgique, n’était pas vraiment folle de choses hyper pointues. » Le choc majeur vient lorsque cet électronicien de formation, qui adore manier les machines, découvre début 90’s les synthés analogiques. Il se met en tête d’acquérir des classiques tels que l’Akai S950 ou les Roland SH101 et JX-3P, sans oublier la boîte à rythmes TR-909, créée en 1984. On y est: Arnaud tombe raide dingue de ce vintage-là, rassemblant dans ses premiers pas musicaux des références qui embrassent le Mississippi certes, mais aussi la synth-pop canon de Depeche Mode voire les teutonneries planantes de Tangerine Dream. A sa sauce.
Bien en chair
Cela donne la création de Black Strobe en 1997 et une première époque « purement électro et club« .Soit une solide liste d’EP’s et de remix en tous genres pour Depeche Mode, Roÿksopp, Rammstein, Bloc Party, Taxi Girl et même, rayon belge, Vive la Fête et The Neon Judgement. Lorsque son comparse des débuts, le DJ Ivan Smagghe, quitte Black Strobe avant un full premier album paru en 2007 (Burn Your Own Church), Rebotini se trouve seul aux commandes d’un groupe, complété par un batteur, et deux claviéristes-bassistes-guitaristes. A la même période, leur reprise de I’m a Man fait tourner la tête au cinéma, se retrouvant dans la série The Walking Dead, la BO du RocknRolla de Guy Ritchie et même dans la bande annonce du Django Unchained de Tarantino: « On a eu énormément de succès avec ce titre, un peu moins d’argent puisqu’il a été écrit par Bo Diddley, mais on s’est même retrouvés au générique des Country Music Awards de 2013, pas loin des Black Keys… « Arnaud ne se travestit pas dans une sorte d’americana frelaté, reconnaissant les limites de son accent anglais -« j’y vais sans complexe et si tu comprends les paroles, c’est que c’est bon »- et celles de ses projections: « Je suis plus proche de Sergio Leone que de John Ford, je visite un Sud ou un bayou fantasmés. Dans le nouvel album, je réunis tout ce que j’aime, les synthés, les influences de Johnny Guitar Watson, le blues, et j’y vais. » Sur scène -prochainement à Mons-, Rebotini et les siens ne se reposent pas sur les laptops mais font chauffer un gumbo de vieux synthés à la Oberheim Two Voices ou à la Korg Monopoly. On n’y gagne pas de maisons, mais une électricité rétro-futuriste drôlement bien en chair.
EN CONCERT LE 29 NOVEMBRE À L’ALHAMBRA DE MONS, WWW.ALHAMBRAMONS.COM
TEXTE ET PHOTO Philippe Cornet, À Paris
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