STEFAN LIBERSKI EST AU JAPON POUR LE TOURNAGE DE SON PROCHAIN FILM, TOKYO FIANCÉE. CHAQUE SEMAINE, ET EN EXCLU POUR FOCUS, IL NOUS RACONTE LES DESSOUS DE L’AVENTURE.
Avec Hichame Alaouié, un beau garçon grand et fort (un peu comme moi), nous comptons tourner en catimini, en marge de Tokyo Fiancée, un petit documentaire sur les chambres minuscules des hôtels japonais. Ça risque d’être marrant. A Kobe, ma chambre était si étroite que je n’arrivais pas à ouvrir ma valise. Ouvrir une valise est un luxe souvent inutile, je l’admets, surtout dans un hôtel. Là, il n’y avait pas la place. C’est-à-dire qu’il fallait sortir, ouvrir la valise dans le couloir pour y prendre quelque chose, et la rentrer une fois refermée. A la fin, on s’habitue et on vit le temps de l’hôtel en deux positions: soit couché sur le lit, soit assis sur le lit. L’accès à la cabine douche & WC s’opérant par une sorte de translation latérale prudente, un peu comme écrivaient les vieux Egyptiens. Tous les objets nécessaires, livres, scénario, plan de travail, chargeurs divers, téléphones, ordinateurs, linge de rechange, tout est disposé à portée de main, autour de soi, « rangé » dans les interstices de cet espace ultracondensé: par terre bien entendu, sur la poubelle, sur le minifrigo, dans le minifrigo et sur la minuscule étagère qui jouxte dangereusement le lit (attention la tête!) -non sans en avoir retiré au préalable tout le bric-à-brac que contient malgré tout une chambre japonaise, fût-elle lilliputienne: une grosse télé (ça va de soi), un gros porte-kleenex, un grand téléphone fixe, une grosse bouilloire électrique, tout ce qu’il faut pour préparer et boire le thé (quelquefois que l’on inviterait des amis (de ceux qui arrivent à se plier en huit) à venir en boire une petite tasse), une grosse télécommande, des cendriers, des dizaines de publicités, de modes d’emploi, de programmes télé et de règlements glissés dans des porte-documents en plastique. Sur l’un d’eux, par exemple, on vous prie de ne pas fumer au lit. Je ne suis pas fumeur mais je me demande bien où peuvent alors fumer les fumeurs. Et pourtant ils fument! La moquette s’en souvient grave! Debout juste devant la porte, collés à elle? Peut-être. Ou alors assis sur le Toto, tandis que la fonction bidet-fontaine les nettoie de toute souillure (ce que les fumeurs apprécient, en général). Dieu sait pourquoi, cela m’a fait me souvenir que le petit-déjeuner à Kobe était « continental ». Deux petits croissants et un oeuf dur. Tous les jours que Dieu fait: deux petits croissants et un oeuf dur. J’adore les idées des Japonais. En vérité, j’adore le Japon et les Japonais. J’écris ces piques pour rire. Sur ce tournage, même s’il est parfois dur et fatigant, je vois bien que quelque chose, ici, nous transporte. Avec quelques-uns, nous étions hier soir chez Tomoyo, au bar de la Jetée, à Shinjuku, dans le Golden Gai. Les cinéphiles sauront de quoi je parle. Là aussi, c’est minuscule. Et pourtant. Wim Wenders y a tourné (par exemple) une scène de Tokyo ga où l’on aperçoit Chris Marker. Autrefois, Ozu venait y boire des coups. Et beaucoup d’autres dont subsistent tant de discrets souvenirs. (Même les frères Dardenne y viennent. Enfin, l’un après l’autre, j’imagine. L’endroit est si petit.) Nous y avons passé une de ces soirées d’alcool, de hasards étranges et de coïncidences irracontables avec des clients de passage, dont Yoku, que je salue ici. Dans cet endroit minuscule se dilatait le temps et l’espace jusqu’à faire un trou dedans. « Le Japon est mon dépays« , écrivait magnifiquement Chris Marker. Ce cagibi enchanté fut, un instant, notre petit pas hors du temps. Notre détemps. Demain: day off.
STEFAN LIBERSKI
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