Lomepal
Après le carton de son premier album Flip, Lomepal revient avec Jeannine, nouveau geste rap intime et personnel, où il célèbre cette folie que d’essayer d’être soi.
Le succès est une anguille. Dans le cas de Lomepal, il a failli lui glisser entre les doigts. Sorti en juin 2017, son premier album Flip, a démarré pianissimo. « On a sorti le clip de Pommade, qui n’a pas trop tourné. Puis, celui de Ray Liotta , qui a encore moins bien marché. Je commençais à déprimer. » Le troisième est le bon: Yeux disent débloque les compteurs. Juste à temps pour la fin d’année. Les plateaux télé commencent alors à s’enchaîner, les passages radio aussi. En décembre, Flip ressort en édition deluxe. « Dès la première semaine, il se vendait davantage que la version originale ». À partir de là, la courbe sera exponentielle: quelques semaines plus tard, le disque sera certifié platine. Tandis que les médias généralistes embrayent (passage télé chez Ruquier, radio sur France Inter, etc.), Lomepal se retrouve même nommé aux Victoires de la musique, dans la catégorie « musiques urbaines », au milieu de rappeurs tout aussi blancs que lui… Bien sûr, comme d’autres, il tique. Soit. À vrai dire, lui-même se voit de moins en moins dans le rap stricto sensu, prenant un malin plaisir à lorgner du côté de la chanson ou à citer les héros rock Janis Joplin ou Kurt Cobain (récemment il a collaboré avec le groupe L’Impératrice ou les Anglais d’Alt-J). « En fait, j’aime la culture populaire, les classiques qui touchent tout le monde. J’ai envie d’aller vers ça, sans pour autant que ça change quoi que ce soit à ma musique. Le but est que mon pire ennemi m’écoute, que j’arrive à conquérir son coeur. »
Un an plus tard, Lomepal est déjà de retour avec un nouvel album, intitulé Jeannine. Dès les premiers mots, il annonce: « Ça y est/J’ai fini par avoir tout ce que je voulais/une raison pour mes cernes/et des scènes pour me défouler » ( Ne me ramène pas). Même si cela ne résout pas tout… Sur Flip, le Parisien racontait volontiers son adolescence cabossée, itinéraire d’un « white trash » aux idées noires. Ces plaies, explique-t-il aujourd’hui, le succès ne les a pas forcément guéries. Il les a juste un peu soulagées. « J’ai toujours un énorme vide en moi. Je l’aurai toute ma vie. Mais maintenant, j’en ai conscience. Je peux mieux l’accepter. Aussi parce que les choses sur lesquelles je comptais pour m’en sortir, je les ai obtenues: le succès, une certaine sécurité financière pour moi et ma famille, la reconnaissance. Je suis très égocentrique: j’ai toujours eu besoin du regard des autres. Aujourd’hui, je suis comblé, je ne peux pas en avoir plus que ça. Alors oui, au départ, je pensais que ça allait peut-être m’aider. Finalement, je me rends compte que même si ça me fait du bien, ça ne guérira rien. » Sur Mômes, il raconte encore: « Si je perds, je gagne », comme s’il avait conscience que ses défaites et ses errances lui avaient aussi donné le carburant pour écrire des tubes. « Disons qu’il y a du bon à tirer dans tout. Si j’avais été bien construit, que toutes les pièces se trouvaient à la bonne place, je n’aurais peut-être pas cette sensibilité qui me permet d’écrire. C’est ce que Blanche Gardin expliquait quand elle a reçu son Molière, et qu’elle remerciait sa thérapeute de lui avoir permis à la fois de se sentir mieux au quotidien, et de garder ses névroses assez intactes que pour continuer à faire des blagues. » (sourire)
C’est beau, la folie
Si les angoisses existentielles de Lomepal touchent autant, c’est sans doute parce que, derrière l’histoire intime, elles sont universelles. Ses mécanismes, par contre, la manière de l’exprimer, restent éminemment générationnels. Quitte à glisser dans la psychosociologie de comptoir, il est question ici d’une jeunesse prise dans les phares de ses contradictions, coincée entre le présent permanent et un futur pas forcément ragoutant; entre l’envie de vivre vite et l’angoisse de se précipiter toujours plus rapidement vers le chaos. Une génération paumée aussi, sacralisant la vérité, mais noyée sous les fake news du Net et la superficialité des réseaux sociaux. « Il y a un petit resto super bon en bas de chez moi, tenu par un couple. Au début, l’accueil était glacial, les patrons super distants. Il a fallu que j’y aille cinq-six fois avant qu’ils ne me captent, ne s’ouvrent un peu, et commencent à discuter. Alors, oui, au départ, ils ont pu paraître froids. Mais au moins, aujourd’hui, je sais que leur sourire est authentique. Je n’ai jamais aimé l’hypocrisie ou les gens qui exagèrent, qui en font des tonnes. Après, il faut bien avouer qu’on est une génération comme ça, où tout est « génial », « incroyable ». Notre vocabulaire est construit sur l’hyperbole. »
Après avoir pas mal parlé de sa mère sur Flip, Lomepal a décidé d’intituler cette fois son nouvel album du nom de sa grand-mère maternelle, Jeannine. On pourrait le prendre comme un nouveau pied-de-nez aux clichés machos que l’on continue de lier au rap ( Flip le montrait en travesti défraîchi). Plus simplement, Jeannine renvoie à une figure familiale dont le caractère fantasque a marqué le rappeur. « Ma mère m’a par exemple raconté qu’un jour, elle les a tous emmenés en voiture, avec ses trois frères et soeurs, parce qu’elle se sentait persécutée. Ils sont partis habiter pendant un an dans une secte en Angleterre. Par la suite, elle a encore voyagé en Inde. Elle a traversé tout le pays, en organisant des soupes populaires… » Sur Beau la folie, il explique encore qu’ « elle marchait nue, en criant des mots magiques », originale dans une famille « zinzin ». Avec tout ce que ces extravagances peuvent avoir de toxique. Mais aussi de poétique . « Ma grand-mère était folle et elle m’a transmis son pouvoir », rappe Lomepal sur Ne me ramène pas, comme s’il s’agissait moins d’une tare que d’un super-don digne d’un super-héros. « Oui, même si ça ne veut rien dire, j’aime bien imaginer que c’est quelque chose de génétique, dont j’aurais conservé une partie. »
Lomepal, Jeannine, distribué par Pias. En concert le 12/02 à Forest National. Critique en page 39.
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