L’insoumuse
Actrice et réalisatrice engagée, Delphine Seyrig fait l’objet d’un livre passionnant qui la pose en principe absolu de déconstruction..
Delphine Seyrig, en constructions ****
Née à Beyrouth en 1932 et décédée des suites d’un cancer à Paris en 1990, Delphine Seyrig fut une actrice- comète à l’audace aussi fulgurante que sa liberté. Issue d’un milieu érudit et aisé, identifiable rien qu’à sa voix de velours au grain délicieusement rocailleux, elle se signale en muse ensorcelante d’un auteurisme presque d’avant-garde dans les années 60 et au début des années 70. L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais, Accident de Joseph Losey, Baisers volés de François Truffaut, Peau d’âne de Jacques Demy, Les Lèvres rouges d’Harry Kümel, Le Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel… Sa filmographie est une source intarissable de fantasmes cinéphiles. Critique bien connu des lecteurs des Inrockuptibles, Jean-Marc Lalanne l’envisage aujourd’hui, dans un formidable petit essai énamouré, en véritable pionnière de notre contemporanéité.
D’abord abonnée aux personnages de grande bourgeoise fétichisée, Seyrig se distingue d’emblée par un jeu d’une immense modernité, qui accentue les artifices de ses rôles pour mieux en faire voir les coutures, et donc les constructions, théâtralisant ce qui la constitue à l’écran pour mieux en souligner les limites, et doublant toujours sa fascinante sophistication, son irréductible aura de mystère, d’un soupçon d’ironie et de distanciation. “Tout en elle invite à ne pas être trop dupe: de l’histoire qu’elle est en train de raconter, du cinéma en train de se faire, des puissances mimétiques de la représentation. Tout en elle fait soupçon”, nous dit ainsi Lalanne de sa plume virevoltante.
Peu à peu, le goût de l’actrice pour la remise en question et une certaine démythification déborde des limites du seul cinéma et s’étend à la société tout entière. Au mitan des années 70, Seyrig enchaîne pour la première fois les films réalisés par des femmes. C’est la rencontre décisive avec Chantal Akerman (le séminal Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles) et Marguerite Duras (l’hypnotique India Song). En parallèle à ces rôles inoubliables de femmes captives qui en disent long sur l’aliénation que produit la société patriarcale, elle devient une figure déterminante du féminisme en France, multipliant les prises de position publiques pour les droits des femmes avec une verve percutante. Ce combat militant la pousse à passer elle-même derrière la caméra, au sein du collectif vidéo des Insoumuses d’abord, puis en pilotant en solo Sois belle et tais-toi, documentaire fondateur qui dénonce et déconstruit la violence faite aux actrices dans le milieu du cinéma. Et Lalanne de conclure magnifiquement: “Delphine Seyrig continue de nous parler. Plus que jamais depuis sa disparition, elle semble notre contemporaine. Depuis sa bulle temporelle éloignée de presque un demi-siècle, elle ne cessait de préparer le champ intellectuel et artistique dans lequel nous évoluons.”
De Jean-Marc Lalanne, éditions Capricci, 184 pages.
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