Les blocs échappés de l’Est
Regarder sans sourciller sa création cartonner dans les charts pendant dix ans, sans en tirer un cent de royalties, exige un sérieux sens de la résilience. Si son nom défilait au générique de 35 millions de Game Boy au début des années 90, Alexey Pajitnov, le créateur de Tetris a dû attendre 1996 (et un long procès contre l’État russe) pour récupérer les droits de son puzzle game. Un gameplay dont la durée de vie phénoménale crépite encore aujourd’hui en VR sur Tetris Effect et en battle royale sur Tetris 99. Cas d’école unique dans l’histoire du jeu vidéo, l’oeuvre culte illustre aussi à elle seule l’effritement du bloc de l’Est et la vulgarisation galopante du gaming auprès du grand public à la fin des 80’s.
Imaginé par Pajitnov en 1984 au centre informatique Dorodnitsyn de Moscou, Tetris se répand comme une traînée de poudre dans des centres de recherches, aux quatre coins de l’URSS. Le jeu franchit ensuite, en douce, les frontières soviétiques pour débarquer à l’institut des sciences informatiques SCKI de Budapest, en Hongrie. Là-bas, des étudiants l’adaptent de son obscure bécane soviétique d’origine pour un Commodore 64 et un Apple II (nettement plus populaires à l’Ouest). De quoi attirer l’attention de Robert Stein, éditeur rompu à la vente de jeux soviétiques en terres capitalistes.
L’imbroglio qui suivra relève du casse-tête fou. Après un télex de Pajitnov qu’il interprète comme un oui, Stein file ainsi chez un éditeur anglais qui le publie en 1986. Une chaîne de distribution internationale se met alors en branle. Cinq labels se partagent le magot selon les régions du monde et les plateformes. Le tout, pour finir aux mains de Microsoft, Atari Games puis Nintendo en 1989. L’éditeur soviétique qui gérait les droits du jeu, Elorg, n’avait aucune idée de cette arborescence lorsque ses responsables rencontrèrent un représentant de Nintendo, prêt à propulser le jeu sur Game Boy, pour le hisser au rang de hit planétaire…
En tout, Tetris s’est joué sur une cinquantaine de consoles de jeux et micro-ordinateurs. Roi de la globalisation du gaming à la fin des 90’s, il totalise à ce jour 456,2 millions de copies vendues dans le monde. Le puzzle game qui a notamment alimenté Blokken (célèbre jeu télévisé flamand), suscite des effets hypnotisants largement étudiés en neurologie et en psychologie cognitive. Une trentaine d’études scientifiques se penchent notamment sur ses effets bénéfiques face aux traumas psychiques d’accidentés de la route. Un juste retour aux sources pour ce fruit de la science soviétique.
Chaque semaine, retour sur les meilleures tranches de l’Histoire bis du jeu vidéo.
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