L’empereur contre-attaque
Avec son deuxième roman, Joël Baqué fend la rentrée littéraire tout sourire. La Fonte des glaces confirme un talent poétique et dégourdi. Régalade!
La Fonte des glaces
De Joël Baqué, éditions P.O.L. 288 pages.
9
Charcutier à la retraite, Louis coule des jours placides du côté de Toulon. Il avait aimé sa mère, sa compagne Lise, son métier et la boutique de la rue Lavoisier, ainsi que sa trancheuse, une Clinencourt électrique, trois vitesses et tout alu. Mais ce temps était révolu, il flotte désormais dans ses dimanches et, « pour le dire clairement, Louis déprimait ». L’achat d’un manchot empereur sur une brocante (« Faut le caresser dans le sens du poil. Quarante euros parce qu’on va fermer ») vient donner un axe à ses journées, un but à son existence. Le vieil homme méditatif a trouvé son totem: transporté dans une autre dimension et accessoirement au Pôle Sud, il jette les bases de son épopée. Les avertissements relatifs aux éprouvantes conditions climatiques le laissent de glace –« C’est un coin très très frisquet. » Entre un Inuit mutique, des biscuits militaires d’un genre spécial et un glaçon préhistorique (rien à voir avec Chantal Garage, une ex beaucoup plus calorifère), Louis devient malgré lui une icône de la cause écologique. « La tradition charcutière française fout le camp. »
Attention à la marche!
L’année dernière, La mer c’est rien du tout nous subjuguait par son exigence de vérité désarmante. Dans la maison familiale sise à Montblanc, près de Béziers, les mots courraient sur le fil du haïku pour dire -avec quelle justesse et un grincement étouffé- le peuple des enfants, la chaleur à cigales des années 70, les débuts du plus jeune gendarme de France, devenu maître nageur-sauveteur des CRS. Faisant mentir son titre, ce court roman consacrait une baignade chaudement recommandée et signait l’envol d’une très belle plume. Celles du manchot empereur sont d’une autre envergure mais non moins chatoyantes.
Si on retrouve d’abord l’auteur en terrain conquis (et son lecteur donc!), évoquant l’enfance du Petit Louis, son père aplati par un éléphant -lequel « montre ses oreilles comme le chien ses crocs, le commercial son sourire »– puis les frasques de son avatar granuleux, Fuck Dog Louis, accro aux décibels recraché à l’adolescence, le roman glisse ensuite vers une aventure au grand large. Larguant les amarres de la fiction la plus débridée, c’est presque avec l’air de ne pas y toucher que Baqué nous embarque dans des rebondissements improbables, abracadabrantesques, où les fulgurances truculentes le disputent à un flegme à toute épreuve. Bref, la classe! Entre deux digressions lyriques sur le pneumatique ou la banane –« s’émerveillant de sa douce cambrure, procédant du bout des doigts à la mise à nu de cette chair ferme puis fondante dont le dévoilement progressif fait de la banane l’incontestée pin-up des fruits », le lecteur jubile, songe aux grands jazzmen de la littérature française que sont Christian Oster et Jean Echenoz. Et alors, ça groove? Grave! Tout est prétexte à affûter le regard, sans parler de la Clinencourt électrique, trois vitesses et tout alu, à côté de laquelle Baqué siège, impérial. Tenez, vous m’en mettrez 300 pages, histoire de s’en payer une bonne tranche.
FABRICE DELMEIRE
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