Le Bon coin

Cate Le Bon: "Il y a quelque chose de méditatif dans ce que j'ai vécu. La lenteur change la conception du temps. Il n'y a rien de plus nourrissant."

Régénérée, Cate Le Bon joue les curatrices pour le festival courtraisien Sonic City et sort un EP avecBradford Cox. Irrésistible.

Elle a les cheveux blonds. Comme si le soleil californien, à force, avait fini par éclaircir sa tignasse sombre de Galloise. En quelques années, Cate Le Bon est devenue l’une des mascottes, l’un des piliers de la scène rock de Los Angeles. On en oublierait presque qu’avant de migrer sur la côte Ouest, d’enregistrer des disques avec Tim Presley (White Fence) sous le nom de Drinks et de chanter sur les albums de Devendra Banhart, la singer-songwriter et guitar hero a grandi dans une ferme du Pays de Galles et s’est fait repérer par Gruff Rhys, le leader des Super Furry Animals, à Cardiff.

Du haut de ses 36 ans, Le Bon semble pleinement épanouie. Productrice de plus en plus sollicitée, elle a sans doute sorti en mai, avec Reward, son meilleur album solo. Elle en a jeté les bases dans la campagne du nord-ouest de l’Angleterre tout en apprenant à fabriquer des meubles. « J’ai pris mes distances avec la musique. J’avais besoin de redéfinir notre relation, raconte-t-elle dans les loges des Ateliers Claus. Elle était devenue un boulot et je m’étais quelque part déconnectée de la joie qu’elle procure. J’avais besoin de m’engager dans quelque chose d’intense et de différent. »

Le Bon coin

Elle s’en est donc allée couper du bois, dessiner du mobilier, sculpter des chaises au milieu des lacs et des montagnes. « Ça m’a toujours intéressée. J’aime les objets. J’ai toujours été fascinée par les buildings. Les bâtiments brutalistes, minimalistes, leur fabrication. Ça m’a menée à cette école et ça a changé toute l’architecture de ma vie. »

De Los Angeles entourée de monde, encerclée de musiciens, constamment à partager une chambre ou un van, en mouvement, sans routine, elle s’est éclipsée en un claquement de doigts dans une école d’exception aux horaires stricts et au programme chargé, plantée au milieu de nulle part.  » Je me levais, buvais une tasse de café. J’écoutais David Bowie, marchais jusqu’à l’école où j’avais cours entre huit et neuf heures par jour. Physiquement, c’était assez fatigant. Le travail manuel en journée, s’attaquer aux programmes informatiques pour le design le soir. »

Pendant sa formation, Cate a fabriqué un placard, une table, des chaises, des buffets. Elle avoue les avoir filés à des potes. « À l’école, les gens me disaient: « Mais tu ne vois pas le temps que ça te prend. Tu ne peux pas offrir ça! » Mais si, je peux, bien sûr. Ça me vient de la musique sans doute. Quand tu passes tant d’heures intimes avec ton médium, il y a un moment où tu laisses le truc s’échapper et il n’est plus à toi. »

Là-bas, Le Bon a aussi, donc, trouvé le temps d’écrire des chansons. De composer Reward. « J’ai écrit l’album sans m’en rendre compte. J’utilisais le piano que j’avais emmené avec moi. La musique est redevenue un hobby. Quand je me sentais seule -je ne connaissais personne, c’est un peu comme si on m’avait transplantée dans la vie de quelqu’un d’autre-, le piano m’a procuré de la compagnie et est devenu presque cathartique. C’est dans ce contexte que j’ai écrit la plupart des chansons. »

Connue pour ses talents de guitaristes, la trentenaire s’est réinventée. « Je joue de la guitare sur le disque et j’aime composer avec cet instrument, mais il est toujours bon de se plonger dans l’inconfort. Il y a toujours eu une guitare entre moi et les spectateurs. S’en défaire me rend plus vulnérable. Le disque l’est aussi. Sur scène, je ne dois plus me consacrer à autre chose qu’au chant. C’est plus immédiat. J’écoute des disques au piano, oui, mais je ne suis pas une pianiste accomplie. Ça ne pouvait pas sonner comme du Elton John. »

Éloge de la lenteur

S’il a débouché sur un album exceptionnel et une des chansons de l’année ( Home to You), le retour momentané en terres britanniques de Cate Le Bon semble surtout avoir redéfini les contours de sa vie, son rapport à l’art. « Quand tu t’enfuis et n’as personne autour de toi dont tu cherches l’approbation, ça t’emmène forcément ailleurs. Même la manière que j’avais de consommer la musique là-bas était différente. J’avais emmené une trentaine de mes disques favoris: Flaming Tunes de Gareth Williams & Mary Currie, du Faust, du Pharoah Sanders… Il y a quelque chose de méditatif dans ce que j’ai vécu. La lenteur change la conception du temps. Tu es dans ta propre tête, dans ton univers. Il n’y a rien de plus nourrissant. Ça modifie toutes tes perspectives. »

Quoi qu’il en soit, trois jours après avoir terminé l’école, elle prenait l’avion pour Marfa, au Texas, afin de bosser avec Deerhunter. Le Bon, qui avait déjà tenu les manettes pour son ancien compagnon H. Hawkline, Tim Presley, Alex Dingley et Josiah Steinbrick, n’a pas fait que produire Why Hasn’t Everything Already Disappeared?, le dernier disque du Chasseur de cerf. Elle a aussi enregistré un EP avec sa tête pensante: Bradford Cox. Le quatrième, bancal et génial, volet de la série Myths initiée par le label Mexican Summer (sortie le 01/11). « Il n’y a plus beaucoup de gens comme Bradford aujourd’hui. Il est formidable. Il dit ce qu’il pense. Il est tellement attaché à l’intégrité de l’art et de la musique. »

Le Bon coin

Le samedi 9 novembre, Cate se produira à Courtrai au festival Sonic City dont elle est la curatrice avec Shame. « C’est la première fois qu’on me demande de préparer un line-up. Enfin pas vraiment. J’avais déjà été invitée pour un festival au Pays de Galles, mais les organisateurs n’avaient pas obtenu les permis adéquats et l’événement avait été annulé. Perfume Genius devait être la tête d’affiche dans une petite grange. Ça aurait été génial. » Michele Mercure, Mega Bog, Eiko Ishibashi ou encore Vivien Goldman… La sélection de Cate se veut ici particulièrement pointue. « J’ai vu Vivien en concert et je tenais à ce qu’elle soit là. C’est une voix importante pour les femmes et une journaliste incroyable. Honnêtement, je n’ai pas cherché de ligne directrice particulièrement intelligente. C’est juste un line-up de musiciens actuels qui m’émeuvent et m’inspirent. Ce que devrait tout le temps provoquer la musique, non? »

Le 09/11 au festival Sonic City, Courtrai.

Reward, distribué par Mexican Summer/V2.

8

Myths 004, avec Bradford Cox, distribué par Mexican Summer/V2.

8

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content