Le vent du nord souffle sur l’électro et les dancefloors. Symptômes de la fièvre scandinave.
La boussole, elle est con. Elle indique le Nord alors que tout le monde préfère le Sud. » A défaut de nous faire souvent rire, les humoristes français racontent régulièrement des balivernes! En 2009, même en craignant d’avoir les oreilles gercées, tout amateur d’électro préfère tendre le lobe vers la Scandinavie que de se risquer le tympan au Portugal, en Grèce ou en Italie.
Foi de Vikings. La Suède et la Norvège ont pourtant dû attendre patiemment leur heure avant de partir à la conquête de l’électro et des dancefloors. Karin Dreijer Andersson a viré sa cuti. Elle s’intéressait au rock, a appris la guitare, avant de se tourner vers la musique électronique, d’aiguiser ses talents avec son frangin dans The Knife, puis de sortir un premier album solo, Fever Ray.
Un parcours normal en quelque sorte dans un pays qui a toujours préféré les grattes aux bidouillages en tous genres. « Nous n’avons pas beaucoup de clubs, de discothèques. Tous les Suédois qui cherchent de la techno vont à Berlin, raconte-t-elle. Le premier truc électro que j’ai entendu, ça devait être Jean-Michel Jarre. J’ai beaucoup écouté son live en Chine. Il a nourri mon imaginaire quand j’étais toute petite. »
Après, elle s’est intéressée à la pop des années 80: Kim Wilde, Alphaville… Karin Dreijer ne s’est jamais enfermée. L’électronique constitue simplement, à ses yeux, la manière la plus intéressante et excitante de travailler. « Là où une guitare traditionnelle vous limite, l’électronique vous offre la liberté. Une guitare est toujours une guitare. Elle sonnera toujours plus ou moins de la même façon. Par contre, quand vous ouvrez votre ordinateur, vous avez accès à des centaines de softwares. Sur le premier album de The Knife, nous utilisions beaucoup d’instruments analogiques. Puis, nous avons compris ce qu’était un ordi et ce qu’on pouvait en faire. »
Pour peu, on croirait que les Scandinaves en reçoivent un mode d’emploi différent du reste du monde. Le nord de l’Europe n’a aucun concurrent quand il s’agit de réchauffer les sons froids de l’électronique. De donner de l’âme et de la chair au synthétique. Ca s’entend jusque chez Björk et Sigur Ros.
» Nous habitons tous dans des pays à faible densité de population. Parfois même désertiques. C’est perceptible dans notre musique. Mais il y a déjà pour moi une grande différence entre notre son et celui, norvégien, des grands espaces, très atmosphérique, de Lindstrom ou de Röyksopp. »
Röyksopp a justement invité Karin Dreijer, plus claustrophobe, à donner de la voix sur son nouvel album. » Notre environnement géographique, la longueur des journées font partie de notre quotidien, explique Svein Berge . Ils nous influencent sans qu’on tente délibérément de les traduire en musique. Ils sont là qu’on le veuille ou non. Quand on vit dans un endroit surpeuplé, dense, la musique a tendance à se faire plus sèche. Sans trop de réverbération, de delay, de luxure dans les cordes. Elle me semble moins directe quand elle vient de régions plus vastes et aérées comme la nôtre. »
Avec Junior, qui sera suivi d’un quatrième album, Senior, d’ici la fin de l’année, Röyksopp effectue son grand retour aux affaires après quatre longues années d’absence. Originaire de Tromso, Röyksopp (vesse-de-loup en français) constitue l’un des fleurons de l’électro pop scandinave. Le duo norvégien n’est pas tombé dans le chaudron rock avant de bouffer au râtelier électronique.
Musique de l’espace
« Mon frère et ma s£ur ont joué un rôle très important dans mon éducation musicale, se souvient Svein Berge. Quand j’avais cinq ans, j’étais déjà confronté à Vangelis et… Jean-Michel Jarre. A cet âge, tu te fous du bon et du mauvais goût. Un seul gosse écoutait la même chose que moi et il habitait de l’autre côté de la rue. L’amour que j’ai porté à ces groupes vient de ma fascination pour l’espace. Une passion relativement commune pour un enfant. A fortiori pour un garçon. C’était l’époque de Star Wars , d’Alien … Tout s’est entremêlé. »
Un beau jour, absorbé par un reportage sur les robots diffusé par une chaîne de télé suédoise, Svein entend Kraftwerk. « Je ne comprenais pas comment le groupe allemand créait ces sons. Comment il parvenait à faire chanter des machines à l’apparence humaine. Il y avait du mystère, de la magie, pour moi, derrière tout ça. Puis, c’était génial de jouer avec ma figurine d’Han Solo en écoutant cette musique célébrant l’espace. Imaginative. Instrumentale. »
Alors que les autres gosses de Tromso étaient fascinés par Metallica, Svein et ses amis reprenaient du Depeche Mode avec leurs claviers d’occase. « On a joué pour la première fois devant un public à l’école. Juste avant que d’autres gamins revisitent le Smoke on the water de Deep Purple, je me souviens avoir interprétéThe Model de Kraftwerk. Les spectateurs semblaient perplexes mais quand tu as douze ans, tout le monde t’applaudit… »
Fin des eighties, début des années 90, Svein a découvert l’Acid, les prémices de la scène rave. Des choses plus ambient, expérimentales. « J’avais 16 ans. C’était avant l’avènement d’Internet. Des amis un peu plus âgés que nous ramenaient de la musique d’Angleterre. L’un d’entre eux était DJ et possédait une émission radio sur une petite chaîne locale où il faisait découvrir la musique de club contemporaine. En grandissant, nous nous sommes intéressés à la house, au breakbeat. »
De l’électro jazz au disco punk
Quand Svein Berge et Torbjorn Brundtland ont déménagé à Bergen et créé Röyksopp en 1997 (année qui marque également les débuts de Trentemoller), la musique électronique était déjà davantage installée. Et appréciée. « La nouvelle génération, je pense, a pris confiance en ses moyens. Elle ne se sent plus obligée de copier les modèles anglais et américains. Au contraire, elle veut être unique. Posséder son propre son. Elle croit en elle et en ce qu’elle fait. Elle ose s’aventurer sur des chemins qui ne sont pas encore balisés. Et même quand elle s’inscrit dans une tendance, elle se permet de prendre ses distances », note le Suédois.
La Scandinavie s’est forgé une belle petite réputation en matière d’électro jazz. Jadis accompagnateur d’Eagle Eye Cherry et de Janet Jackson, Goran Kajfes, formé à Copenhague, marche sur les traces d’un Nils Petter Molvaer ou d’un Bugge Wesseltoft. Le Danemark n’est pas à la traîne. En ses rangs, il compte Lulu Rouge, ces deux anciens DJ qui lorgnent du côté de Massive Attack. Ou encore Tone, cousine indietronica de CocoRosie. Il possède aussi les Who Made Who. La preuve disco punk qu’il ne faut pas nécessairement s’aventurer dans l’électronique pour faire bouger les filles et remuer les fesses. Un constat que conforte le Whitest Boy Alive. Ce trio emmené par le Norvégien Erlend Oye (Kings of Convenience) et basé à… Berlin, était un projet électro avant qu’il se transforme en groupe. Avec de véritables instruments. Sans éléments programmés. Et bien dansez maintenant… l
Texte Julien Broquet
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