La délégation du mal
Avec Offenses, livre coup de poing, Constance Debré interpelle les “heureux du monde” et leurs sacrifiés, à travers la figure du meurtrier.
Un homme tue une femme de dix coups de couteau. Un jeune homme dont tout le monde se fout. Une vieille femme dont tout le monde se fout, sauf le jeune homme peut-être, “le seul à parler d’elle avec bonté” lors de son procès. Un procès dont Constance Debré dévoile l’envers du décor. Elle nous donne, nous force même, à voir d’où vient ce meurtrier, comment il en vient. Offenses, c’est le récit d’un crime, et l’inconfortable élégie d’un criminel. C’est l’histoire du fils bâtard d’un éboueur, à son tour devenu père trop jeune, celui que personne ne vient voir en prison.
Ce personnage, actualisation rageuse de Raskolnikov de Crime et châtiment, en appelle à nos inhumanités, victime expiatoire de nos avidités. Il représente tous ceux et celles qui ne pourront jamais gagner, qui ont perdu d’avance face à la loi du marché. Car “pour que votre paradis existe il faut un enfer derrière, notre enfer”. C’est aussi l’histoire de son quartier, de son immeuble, et de celles et ceux qui ne le quittent que pour rejoindre une autre banlieue.
Uppercut
L’autrice s’empare de ce banal fait divers non pas pour en révéler la rassurante monstruosité, mais plutôt pour en décrypter les responsabilités. “Il est un personnage insignifiant”, disent les psychiatres. Mais s’il n’est personne, alors il est tout le monde. À travers les différentes adresses aux lecteurs, les apostrophes du narrateur, le “vous” et le “nous”, c’est le collectif qui est convoqué. “Je l’ai tuée à votre place”, nous dit le jeune homme. Il l’a tuée pour rien ou presque, quelques centaines d’euros. Mais ce rien, qui le définit? Quel est le prix de notre bonheur? Ce personnage n’est-il pas le coupable idéal, l’incarnation du mal? Comment le juger? La romancière s’insurge contre le fonctionnement pipé de la justice en relatant le procès joué d’avance, une justice où les juges, choisis parmi les élites, sont “sélectionnés pour ne pas savoir ce qu’est l’injustice, le manque d’argent, les vies à la con (…) sinon ils ne pourraient pas juger”.
La force de la littérature, ce serait de bousculer les (dés)ordres établis, d’incommoder aussi la bourgeoisie, d’état et de fait, même si souvent elle en provient. Dans un texte bref et incandescent, Constance Debré malmène nos intransigeances quant au bien et au mal. Un plaidoyer ravageur, un direct de la gauche dans le visage des dominants, que nous sommes sûrement, nous lecteurs. Des dominants qui ont tant besoin de ces assassins pour tenir le mal à distance. “Ça doit se calculer combien il faut de pauvres pour un riche.” Leur malheur, peut-être, est le prix de nos richesses.
Offenses
De Constance Debré, éditions Flammarion, 128 pages.
9
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici