Kin, Kasaï & Kimbanguisme
La BO de Félicité fait danser entre la fiction musicale de Kasaï Allstars plus l’Orchestre Symphonique Kimbanguiste, et l’âpre réalité de Kinshasa.
Kasai Allstars & Orchestre Symphonique Kimbanguiste
« Around Félicité »
Distribué par Crammed Discs.
8
Précédé du Grand Prix du Jury à la Berlinale 2017, le long métrage du franco-sénégalais Alain Gomis, qui sort cette semaine en Belgique (voir l’interview et la critique page 28),fait parler de lui pour son sens impressionnant du réalisme congolais. C’est-à-dire la capture de cette fameuse électricité kinoise croisant pauvreté endémique et plaisir acharné de vivre, comme si chaque jour était bien le dernier sur Terre. La trame du film est d’ailleurs inspirée de l’aventure vécue par la chanteuse de Kasai Allstars -formation kinoise qui rassemble des immigrés originaires de la province du Kasaï- Muambuyi, mise en demeure de trouver l’argent nécessaire pour soigner son fils, victime d’un accident de moto. Dans un pays où la sécurité sociale est un mirage intégral et la démerde, un sixième sens de survie obligatoire, Félicité est donc une course à la débrouille rythmée par la musique, carnet de bord qui colle à la peau du récit. C’est peu dire que ce double CD constitue aussi la vision sonore d’un synopsis au bord de la crise de nerfs: le producteur Vincent Kenis et le « séquenceur » Marc Hollander, ingé son et boss de la maison Crammed Discs, ont donc imaginé un premier disque composé de onze titres unis par des dialogues et sons ambient en lien direct avec la matière filmée. Et même si on ne pige pas un mot de lingala, on comprend vite que toute cette tension d’un Kinshasa saigné au quotidien ne s’échappe que par la seule porte autorisée, celle des musiques.
Grâce indépendante
Les titres du Kasai Allstars, à deux exceptions près datées de 2008, ont été composés pour le film sur la trame tradi-modern déjà connue où le likembe -ce « piano à pouce » artisanal électrifié- sonne plus que jamais comme l’ADN entre les guitares acides des années 60 et une forme de trance grigri intemporelle. Et c’est la force du contexte fictionnel rendu par le montage ambianceur: cette musique n’a jamais été portée d’aussi cinglante manière. Le travail sur le groove addictif de la RDC et les voix de Kasai Allstars qui expriment la fascination des Congolais pour le sacré amène aux trois morceaux signés par l’Orchestre Symphonique Kimbanguiste. Cet ensemble rassemblant jusqu’à 200 chanteurs et musiciens amateurs interprète les compositions de l’Estonien Arvo Pärt, contemporain fameux lui aussi marqué par le mysticisme. Entre l’octogénaire nord-européen et le sang bouillant du Congo actuel, une grâce, indépendante des races et des cultures, irrigue ce qui ressemble à une formidable ligne d’espoir et de diffusion émotionnelle. Ce que tente de faire le second disque du projet, collection de dix remixs qui, pour faire vite, ne dépasse jamais l’intensité de la matière brute originale.
Philippe Cornet
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