Karma coma
Sorties uniquement sur cassette durant les années 80, les musiques méditatives d’Alice Coltrane ressortent pour la première fois, compilées et remasterisées.
Alice Coltrane
« World Spiritual Classics: Volume I: The Ecstatic Music of Alice Coltrane Turiyasangitananda »
Distribué par Luaka Bop/V2.
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On ne peut pas dire que l’Histoire du jazz regorge de musiciennes célèbres. Des chanteuses, oui, à foison, dont une foule d’icônes: de Billie Holiday à Ella Fitzgerald, de Sarah Vaughan à Dianne Reeves, etc. Il est bien plus compliqué de citer le nom d’instrumentistes féminines. Il faut donc souligner la place qu’a réussi à se créer Alice Coltrane dans les manuels consacrés à la note bleue. D’autant plus que, pour le même prix, celle qui est née Alice McLeod (décédée en 2007, à l’âge de 69 ans), aurait pu aussi simplement se retrouver coincée dans l’ombre -immense- de son mari, John Coltrane.
Le couple aura eu une vie aussi courte qu’intense: deux ans après leur mariage, en 1965, John Coltrane mourra d’un cancer du foie. Dans les années qui suivirent, Alice prolongera la quête spirituelle entamée par son mari (notamment dans son chef-d’oeuvre A Love Supreme), en creusant un (free) jazz cosmique, aux envolées psychédéliques (World Galaxy ou Universal Consciousness). Ce n’est toutefois pas cette musique qui est au centre de la toute nouvelle compilation, concoctée par le label Luaka Bop. Premier volet d’une série baptisée World Spiritual Classics, The Ecstatic Music of Alice Coltrane Turiyasangitananda s’attarde sur les musiques méditatives qu’a pu composer la musicienne durant les années 80.
Sanskrit du coeur
Dès le début des années 70, le cheminement religieux et spirituel d’Alice Coltrane l’emmènera vers l’hindouisme. Petit à petit, elle se retirera ainsi de la vie publique pour finir par intégrer un monastère, en Californie. Une décennie plus tard, celle qui est devenue Turiyasangitananda dirige alors l’Ashram Sai Anantam, du côté de Malibu. Elle n’a pas complètement lâché la musique pour autant. Régulièrement, elle enregistre des chants religieux avec ses disciples, qu’elle diffuse sur cassette, en privé. Devenues objet d’un culte fervent, ce sont ces quatre cassettes, sorties entre 1982 et 1995 (Turiya Sings, Divine Songs, Infinite Chants, et Glorious Chants) qui font aujourd’hui l’objet de cette série de compilations.
Porté, comme son nom l’indique, sur les morceaux les plus « extatiques » de la collection, ce premier épisode est remarquable à plus d’un titre. On y entend par exemple pour la première fois la voix d’Alice Coltrane. Alors qu’elle est longtemps restée fidèle aux instruments acoustiques, la musicienne noie également ses méditations sous de grosses couches de synthés analogiques (l’Oberheim OB8, pratiqué notamment à l’époque par Prince). Le disque démarre ainsi avec les dix minutes d’Om Rama, morceau de transe quasi disco, tandis que, plus loin, Rama Guru ou Hari Narayan donnent l’impression de décoller en direct. Chantés pour l’essentiel en sanskrit (mais aussi en égyptien ancien comme sur Er Ra), par une chorale d’une vingtaine de fidèles, les morceaux ne sont pas uniquement de simples ovnis musicaux. Passé l’exotisme de l’objet, la compilation réussit en effet à transmettre l’intensité spirituelle de son auteur. A higher state of mind…
Laurent Hoebrechts
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