John Woods

“Il y a beaucoup de gens gentils et merveilleux à Barnesville et dans la vallée de l’Ohio, mais mon écriture ne se focalise pas sur eux.” © erin swanson

Dès son premier roman (très) noir, d’abord signé en France, l’Américain rejoint d’emblée les grandes voix torturées des Appalaches et de l’Ohio. Une Amérique déclassée aux frontières de l’enfer, mais fertile en écrivains.

Le jour, John Woods travaille actuellement comme employé administratif dans une clinique psychiatrique de Gloucester, en Virginie, après mille autres petits boulots journaliers parce il a “ toujours ressenti le besoin d’avoir des boulots qui ne sont en rien concernés par l’écriture, et plutôt tournés vers le service à la communauté”. Mais chaque nuit, par le miracle (ou la malédiction?) de l’écriture, le même retourne à Barnesville, Ohio, à 600 kilomètres plus à l’est. Une petite ville des Appalaches, région minière puis gazière au beau milieu de cette “Rust Belt” qui fit l’élection de Trump, et où John Woods a grandi. Un bled désormais ravagé entre autres par la fracturation hydraulique après l’avoir été par le racisme, la religion ou la drogue, oublié de tous, si ce n’est du Diable, et qui, depuis, hante tous les récits du jeune écrivain. D’abord les nouvelles horrifiques qu’il parvint à publier dans des revues littéraires, encore nombreuses aux États-Unis, et qui feront l’objet d’une future publication chez Albin Michel, et puis surtout ce premier roman, Lady Chevy, d’abord signé en France avant de l’être aux USA, et d’y être retenu par le New York Times comme un des meilleurs romans noirs de l’année 2020.

Beaucoup d’éditeurs américains pensaient que cette histoire était trop dure et sombre, nous a expliqué l’auteur de cet implacable Lady Chevy.Je suis donc très reconnaissant à Albin Michel et à Francis Geffard (directeur éditorial de la collection Terres d’Amérique, NDLR), qui furent les premiers à comprendre le tragique de cette histoire.” Les mêmes qui découvrirent, il y a quelques années, l’incroyable Donald Ray Pollock avec Le Diable, tout le temps, qui lui aussi raconte les pires horreurs sur son propre bled de l’Ohio, Knockemstiff. “ Donald Ray Pollock m’a beaucoup influencé quand je m’y suis mis, dit-il , comme d’autres écrivains, Larry Brown ou Tom Franklin, qui tous m’ont montré qu’on pouvait écrire sur les milieux ruraux et leurs habitants, loin du focus culturel américain pointé sur la côte est, la côte ouest et les grandes villes.” Des parallèles qui ne s’arrêtent pas là: comme Pollock, John Woods dresse un portrait cauchemardesque de la région, entre serial killers, fous de Dieu, camés et suprémacistes blancs, mais il vous assure, quand vous lui en parlez, que tout ça est vrai, quoique un peu exagéré: “ Il y a beaucoup de gens gentils et merveilleux à Barnesville et dans la vallée de l’Ohio, mais mon écriture ne se focalise pas sur eux.

© National

Forte mais vulnérable

L’écriture de John Woods, plus déliée que celle de Pollock mais moins neurasthénique que celle de David Joy, se concentre donc sur la vie et les futurs actes d’écoterrorisme de la jeune Amy Wirkner, aka Lady Chevy -“ parce que j’ai le derrière très large, comme une Chevrolet, dit l’héroïne. Ce surnom remonte au début du collège. Les garçons de la campagne sont très intelligents et délicats.” Plus lucide que ses camarades et plus intelligente qu’à peu près tous, Lady Chevy est bien décidée à quitter ce trou rongé par l’industrie du schiste, une industrie qui rapporte 900 dollars par mois à sa famille qui a accepté d’installer des pompes dans son jardin, mais qui tue à petit feu l’environnement et ses habitants. Lady Chevy en est d’ailleurs persuadée: ce sont les produits chimiques injectés en permanence dans le sol qui sont responsables de l’épilepsie et des déformations de son petit frère. Elle aura donc à choisir entre une destinée qui ne peut pas être pire qu’ici et maintenant, et une vengeance que toute son “éducation” lui crie d’assouvir, entre un shérif sadique et une famille de néo-nazis qui lui a inculqué la haine des autres, le maniement des armes et le goût de la violence -“ À sa façon, la violence résout bien des problèmes”.

Des choix qui paraissent simples, sauf quand on a grandi à Barnesville, Ohio, qu’on a 18 ans au XXIe siècle et que, sur ses photos de famille, derrière la rangée d’oncles et de tantes, on devine un Noir pendu à l’arbre du jardin… Une pure fiction évidemment, avec un personnage principal déroutant et rarement lu, à la fois souffre-douleur et bourreau, qui se débat dans une ambiance lourde et souvent suffocante remplie de ravagés, et qui n’a a priori rien à voir avec ce grand et sympathique barbu qu’est John Woods. Sauf que: “ D’après mon expérience, la plupart des ruraux assistent à beaucoup de violence, en tant qu’enfants, en tant que témoins. Nous grandissons vite. Ça semble être une partie naturelle de la vie rurale, et ça vient d’une proximité avec la terre, de la vie agraire, de la chasse, de l’isolement, de la rareté, des réalités dont d’autres ailleurs sont peut-être à l’abri. Ces environnements créent des gens durs, parfois étranges, et je pense que les écrivains ruraux capturent cette spécificité de manière organique. Avec Amy, la première chose qui m’est venue a été sa voix, très particulière. Forte mais vulnérable, en colère mais triste, féroce mais douce. Une voix qui m’a semblé d’emblée familière. Beaucoup des expériences d’Amy sont les miennes, en particulier l’intimidation et le “body shaming” à l’école. Comme Amy, j’ai également été élevé dans un environnement presbytérien. Autant d’éléments qui influencent le caractère.” Et d’évidence l’écriture.

Lady Chevy, de John Woods, éditions Albin Michel, traduit de l’anglais (États-Unis) par Diniz Galhos, 466 pages.

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