Hors gel
En 2056, dans un territoire reculé de montagne, autrefois ravagé par les coulées du glacier local et depuis lors, bruissant des rumeurs du retour de la catastrophe, Lucie se voit contrainte d’accueillir sa soeur jumelle. Clémence, notoirement connue pour ses frasques incontrôlables depuis le plus jeune âge, s’était évaporée depuis quelques années, mais la revoici, réel danger latent. Cette présence qui chamboule la quiétude de la narratrice se double d’une alerte dans le village. Dompte-t-on jamais la nature ou les êtres humains? Jusqu’à quel point les contrôle-t-on? Voilà le double mouvement qui sous-tend le roman. Il y a, dans Hors Gel, de longues coulées dévastatrices de mots: celles, notamment, qui listent les nombreuses injonctions d’éducation faites aux parents quant à leur fille invivable. Celles, aussi, qui détaillent tous les actes de surveillance auxquels est désormais soumise l’humanité, sous couvert d’écologie. Lucie cherche à émerger dans les anfractuosités de ces éboulis de phrases, elle qui a vécu toute sa vie dans l’espace négatif de Clémence, elle qui s’était résignée à n’être rien quand sa soeur était toujours trop. On connaît la méticulosité au scalpel et le goût pour la science d’Emmanuelle Salasc: elle les met ici au service d’une dystopie impressionnante, portée au point d’incandescence par une fissure intime, une relation familiale et sororale faite autant d’attraction que de répulsion. Par son fond et sa forme, c’est un livre dense et transperçant. De ceux qui, selon l’adage kafkaïen, provoquent le bris de notre mer glacée intérieure.
D’Emmanuelle Salasc, éditions P.O.L, 416 pages.
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