L’ouvre des frères Dardenne rassemblée dans un coffret superbe. Pour comprendre et apprécier l’art et le cheminement des cinéastes belges 5 fois primés à Cannes.
Leurs 5 consécrations au festival de Cannes ont propulsé les frères Dardenne au firmament de la cinéphilie internationale. Leur cinéma réaliste, maîtrisé, généreux, exigeant et moral est pris pour référence par de nombreux jeunes cinéastes un peu partout dans le monde. Deux Palmes d’Or ( Rosetta et L’Enfant), 2 Prix d’Interprétation (Emilie Dequenne pour Rosetta, Olivier Gourmet pour Le Fils) et un Prix du Scénario ( Le Silence de Lorna), sont autant de signes d’une reconnaissance que Jean-Pierre et Luc n’auraient jamais imaginé vivre un jour lorsqu’ils prirent pour la première fois une caméra en main. Une caméra vidéo, en l’espèce, car c’est dans ce format (émergent dans la pratique militante du tournant des années 70 et 80) qu’ils firent leurs premières armes, dans le documentaire social et politique. Un des nombreux mérites de l’imposant coffret présentant l’intégrale des frères -comme les appelle leur entourage- est de ressusciter ces £uvres de jeunesse portant certes leur âge mais sans lesquelles on ne saurait comprendre le cheminement du tandem liégeois.
Grands amateurs de football (on les voit encore de temps à autre dans la tribune au Standard), les Dardenne ont découvert le 7e art au ciné-club de leur collège, installé dans une chapelle reconvertie et où ils enchaînent les classiques. Le bon documentaire de la VRT offert parmi les bonus évoque ces souvenirs d’adolescence, et la brève envie de Jean-Pierre, l’aîné, de devenir acteur. C’est au dramaturge engagé Armand Gatti, dont ils intégrèrent l’équipe, qu’ils doivent le déclic des images. Vidéastes attitrés de celui qu’ils qualifient de « père spirituel », ils décidèrent de poursuivre caméra à la main quand Gatti s’en fut retourné en Allemagne. Lorsque le bateau de Léon M. descendit la Meuse pour la première fois, Pour que la grève s’achève les murs devaient s’écrouler, R… ne répond plus et Leçon d’une université volante témoignent de leur travail de documentaristes entre 1979 et 1982. Ces films évoquant pour le premier la mémoire des luttes ouvrières, les grèves de 1960, les utopies militantes, pour le deuxième les espoirs révolutionnaires déçus (à travers l’histoire d’un journal clandestin), pour le troisième la saga des radios libres, et pour le dernier l’émigration polonaise en Belgique, sur fond de répression du syndicat Solidarnosc et de trahison des idéaux marxistes dans les pays de l’Est.
Echec et renaissance
Le théâtre nourrira ensuite l’inspiration des Dardenne, d’abord avec un ultime documentaire, Regarde Jonathan. Jean Louvet, son £uvre. Son £uvre, Jean Louvet (film aux limites de l’expérimental sur le dramaturge wallon prolétarien), puis avec l’adaptation inventive de Falsch, une pièce sur la mémoire de la Shoah due à René Kaliski. Les frères sont prêts, désormais, à passer à la fiction cinématographique, « pour pouvoir suivre plus loin les personnages » qui abondent déjà dans leur travail sur le réel ( » On n’a jamais fait que des portraits« , lance Jean-Pierre). Seul problème, le film concrétisant ce désir sera un ratage. Malgré ses très belles intentions, le drame social qu’est Je pense à vous (avec Robin Renucci en ouvrier sidérurgiste plongeant dans la dépression après son licenciement) se perd dans des compromis narratifs et sentimentaux qui le brident et lui font perdre toute originalité…
C’est là que les Dardenne vont -superbement- rebondir, faire table rase des erreurs commises et devenir cinéastes, « c’est-à-dire trouver (leur) méthode de travail », selon les mots de Luc, « construire contre ce qu’on avait fait » selon ceux de Jean-Pierre. Et ce sera La Promesse, où reviennent les paysages industriels sinistrés de Seraing et des alentours, où nous étreint de nouveau la tragédie sociale, mais cette fois totalement incarnée, vécue à fleur d’âme et de peau à travers l’histoire de ce fils (Jérémie Renier, déjà) en révolte contre un père exploiteur de main d’£uvre clandestine (Olivier Gourmet, déjà). La suite, on la connaît. Quatre films posant avec une sobre éloquence, une implacable évidence, la question qu’évoque Luc dans un bonus: » C’est quoi le prix de la vie? » Un prix qui a baissé, constatent douloureusement les frères, ajoutant que leurs personnages ont tous en commun » d’avoir, à un moment, le choix de laisser mourir quelqu’un ou au contraire de le sauver… »
Outre l’intégrale de leurs films, le coffret édité par Cinéart invite à un itinéraire des lieux traversés, explorés, par les héros des Dardenne, » des personnages solitaires, car n’existe plus cette solidarité organisée qu’il y avait jusque dans les années 70« . Le cinéma des frères portant certes le deuil des espoirs collectifs de lendemains qui chantent, mais s’inscrivant avec force dans une dimension morale, en rendant à l’humain la parfois terrifiante plénitude de sa capacité de choisir.
coffret intégrale. 13 films de jean-pierre et luc dardenne. 11 DVD. Dist: twin pics. prix: environ 73 euros.
Louis Danvers
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