AVEC MAKASI, SON 2E ALBUM, FREDY MASSAMBA PERFECTIONNE SA FUSION AFRO-SOUL. ENTRE LE CONTINENT NOIR ET L’OCCIDENT, LE GROOVE ENGAGÉ FAIT À NOUVEAU DES ÉTINCELLES.

Début novembre, Molenbeek. Ça drache comme vache qui pisse sur la chaussée de Gand. Massamba débarque dans les bureaux de son label. Sous la casquette de gavroche, une carrure de boxeur poids mouche, des traits de jeunot, et un sourire vissé au visage. Avec son prénom de coureur cycliste flandrien qui en a vu d’autres, Fredy Massamba a l’air à peine mouillé. De l’art de passer entre les gouttes. De la manière d’éviter les balles…

Il vient de sortir Makasi, formidable album d’afro-soul, qui démarre façon Fela (Ngunga) et termine avec ce qui pourrait ressembler à une démo acoustique de Marvin Gaye. Déjà en 2010, un premier disque, intitulé Ethnophony, avait donné le ton. A la fois suave et combatif, africain et européen, mélangeant les sons de musiques traditionnelles africaines à une production plus urbaine. Soit l’histoire même de Massamba… Le disque avait eu son petit succès d’estime, même si la formule n’est pas la plus facile à « vendre »: de la soul? De la world? L’éternel problème des étiquettes… Chantés en anglais, les morceaux de Fredy Massamba pourraient facilement titiller les fans d’Erykah Badu, de D’Angelo ou des Roots. Seulement voilà: « Pour Fredy, chanter dans une autre langue est exclu », explique Greg du label Skinfama. L’intéressé confirme: « Pas question. Pour communiquer, pas de souci. Dans le cadre d’autres projets, de collaborations, d’accord. Mais pour mon disque, je veux m’exprimer dans ma langue, dans mes langues: kikongo, teke, lingala… A la limite, le jour où Céline Dion chantera en kikongo, je veux bien me mettre au français! » (rires)

Il faut croire qu’on ne renie jamais tout à fait ses racines. Pas plus que ses voyages. Si Fredy Massamba est né en 1971, à Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville, il a passé ses six premières années en Europe. « Mon père était diplomate. J’avais trois mois quand toute la famille a dû partir s’installer en RFA (l’ancienne Allemagne de l’Ouest, ndlr). Ma première langue, c’était l’allemand! » Quand il retourne en Afrique, ses potes de classe se moquent de son accent. Il pique alors des dictionnaires dans les librairies pour rattraper son retard. On comprend mieux aujourd’hui son entêtement à utiliser sa langue dans sa musique…

Au départ, ce sont pourtant les percussions qui mobilisent le jeune Fredy. Et la danse. « On est en 84. Je tombe sur le film Break Street 84. J’ai tout avalé! Je suis devenu monstrueux en danse smurf. Dangereux! » (rires). Quand il débarque à la capitale, il tombe sur les fameux Tambours de Brazzaville. « L’un d’eux me dit: « Ce que tu fais, ta danse hip hop, tu peux aussi le faire sur les percussions.«  » Il ne le sait pas encore, mais Fredy Massamba a trouvé sa voie, entre Afrique et sons occidentaux. Il intègre alors les Tambours, s’incruste en jouant du lokolé (un petit tambour à fente), part en tournée, collabore avec Zap Mama, (plus tard avec Didier Awadi, Baloji)… En 1997, coup d’arrêt. La guerre civile: il doit fuir la capitale. « J’ai fait 510 km à pied pour rejoindre Pointe-Noire. » Le nouveau président élu, Pascal Lissouba, est renversé par l’ancien, Denis Sassou-Nguesso, toujours en place actuellement. A l’époque, il est soutenu par l’Angola et par la compagnie française Elf qui s’inquiète pour ses ressources pétrolières… « Dans mon quartier, à Brazza, vivait l’un des plus fervents opposants. Ils ont tout rasé. » Après deux mois et demi de marche, passant entre les mailles du filet –« aux postes de contrôles, les gens se faisaient frapper, les filles parfois violer »-, Fredy Massamba retrouve Pointe-Noire, sa ville natale. « Après ce genre d’épreuves, comme je dis toujours, tout ce qui arrive dans la vie, c’est du bonus. » Depuis 2000, il est installé en Belgique. S’il retourne régulièrement au pays, il est devenu un « Afropéen »…

Pieds nus

Pour Makasi, Fredy Massamba a retrouvé le camarade Fred Hirschy, producteur suisse, en recherche comme lui de la fusion afro-soul parfaite. Alternant les idiomes d’Afrique centrale, on ne s’étonnera pas que Makasi –la « force » en lingala- se fasse par moments engagé, un peu à la manière des grands albums soul politisés des années 70. « C’est obligé, vu ce que j’ai vécu », glisse Fredy Massamba. Comme son nom l’indique, Unity est un plaidoyer panafricain, tandis que Muana Congo est une relecture de l’hymne anticolonialiste Ata Ozali de Franklin Boukaka, musicien congolais assassiné lors du coup d’Etat de 1972. Sur le dos de la pochette, Massamba apparaît sapé, en costard noeud pap, mais les pieds nus. « Nous sommes en 95. Je suis en tournée avec les Tambours, invités en Tanzanie. Avant le concert, on se rend au restaurant. Là, les serveurs, habillés très classe, chemise impeccable, pantalon nickel. Mais pieds nus! Parce qu’ils doivent servir le maître. On était choqués! On est directement ressortis, mais l’image m’est restée, elle continue de me hanter. »

Pour autant, Makasi, disque chaleureux et enthousiaste, n’est jamais dans l’invective. Il contient notamment un single évident: Mbemba. Une guitare façon rumba congolaise sert de motif récurrent, à la manière d’un sample hip hop. « Mbemba, c’est l’oiseau qui vole, voyage, mais revient toujours chez lui. Quel que soit l’endroit où tu vas, il est important de savoir d’où tu viens. Cette guitare rumba me ramène chez moi. Mais en même temps, je suis aussi belge, je vis en Europe. » Ou quand chérir ses racines n’implique pas forcément le repli sur soi…

FREDY MASSAMBA, MAKASI, DISTR. SKINFAMA.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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