DOCUMENTAIRE DE RITHY PANH.
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Réalisateur franco-cambodgien rescapé des camps de travail khmers rouges dans lesquels il perdit ses parents et une partie de sa famille, Rithy Panh (Les Gens de la rizière, L’Image manquante) s’était déjà plongé en 2002 dans l’horreur et les atrocités du camp S21, aussi connu sous le nom de Tuol Sleng. Recueillant les témoignages de ses rares survivants et de leurs geôliers, il racontait ce centre d’interrogatoire, de détention et de torture où furent envoyés sur des motifs souvent fabriqués de toutes pièces des milliers d' »opposants » présumés au régime communiste de Pol Pot avant d’être quasi inéluctablement exécutés dans les killing fields voisins.
Avec Duch, le maître des forges de l’enfer (2011), présenté au 64e Festival de Cannes et plus tard en compétition pour le César du meilleur film documentaire (2013), le cinéaste propose une longue et glaçante interview de celui qui, entre 1975 et 1978, dirigea ces lieux que l’Histoire n’aurait jamais dû connaître. Fils souffreteux de paysans né dans un petit village cambodgien le 17 novembre 1942, Kaing Guek Eav, alias Duch, est prof de mathématiques quand il épouse les idées révolutionnaires. Après avoir tenu un camp de rééducation dans la jungle, il prend les rênes de la prison de Tuol Sleng, un ancien lycée installé dans le centre de Phnom Penh, où plus de 12 000 hommes, femmes et enfants termineront leur vie, dans d’atroces souffrances.
Démasqué par un photographe irlandais en 1999, Duch fut condamné en 2010 à 35 ans de prison pour crimes contre l’humanité. Après avoir plaidé coupable, puis innocent, l’accusé fit appel pour finalement écoper en 2012 de la perpétuité. Rithy Panh qui obtint du tribunal l’opportunité exceptionnelle de s’entretenir avec lui et de le filmer (300 heures de rushes au total) signe, sans se laisser guider par la colère ou le jugement, un film profondément déconcertant et terrifiant où le responsable d’un massacre s’exprime sur sa responsabilité, non sans user et abuser de son sens de la rhétorique. Un documentaire aux allures de monologue. Celui d’un bourreau cultivé, fier mais à l’apparente douceur, dont il semble bien compliqué de pénétrer les pensées. Un type a priori comme tout le monde qui, guidé par une idéologie, a participé à la destruction d’un monde pour en construire un nouveau, quel qu’en soit le prix, et feint aujourd’hui d’oublier ses actes et leur cruauté pour ne pas se laisser ronger par les remords et les tourments… Un film immanquable malgré l’heure tardive de sa diffusion.
JULIEN BROQUET
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