État et éclats de la Berlinale
Retour à la normale pour le festival de Berlin qui a réaffirmé sa vocation politique au gré d’une sélection inégale mais néanmoins passionnante. Morceaux choisis.
2023 aura consacré le retour à la normale de la Berlinale, après une édition 2021 en ligne, pandémie oblige, suivie d’une autre en version light et assortie de mesures sanitaires drastiques l’an dernier. Pour sa 73e levée, la manifestation a ainsi renoué avec son format d’une dizaine de jours, mais aussi avec un ADN en ayant fait le plus politique comme le plus hétéroclite et le plus populaire des grands festivals de cinéma internationaux. Démonstration dès la cérémonie d’ouverture, placée sous le signe du soutien à l’Ukraine -avec intervention en duplex du président Zelensky- mais aussi au peuple iranien, pour ce qui est de l’agenda politique. Et tout au long de l’événement s’agissant du caractère inégal d’une sélection pléthorique -sans qu’il y ait là de quoi décourager la curiosité des spectateurs, puisque quelque 267 000 billets avaient déjà été vendus peu après la mi-parcours.
Des docus pour lire le monde
La Berlinale a, en effet, le chic pour souffler le chaud et le froid, la médiocrité y côtoyant l’excellence, le poussif Till the End of the Night, de Christoph Hochhäusler, l’épatant Past Lives de Celine Song, pour ne s’en tenir qu’à la compétition. Curieusement oublié au tableau d’honneur, ce dernier aura pourtant fait figure de révélation d’un millésime dont le palmarès, un peu tiède, a su néanmoins refléter la diversité. Comme Venise il y a quelques mois avec All the Beauty and the Bloodshed, Berlin a couronné un documentaire, Sur l’Adamant, où Nicolas Philibert filme le quotidien d’un centre psychiatrique; un choix où l’on serait enclin à voir tout sauf un hasard, à une époque où la lisibilité du monde pose question. Le festival s’est aussi décliné largement au féminin, moins par le nombre de films dus à des réalisatrices -un tiers de ceux présentés en compétition; la parité n’est encore qu’un mirage- que par les enjeux soulevés. De Ingeborg Bachmann, de Margarethe von Trotta, à The Survival of Kindness, de Rolf de Heer, et jusqu’à l’anime Suzume, de Makoto Shinkai, les héroïnes auront imprimé le tempo. Certains films faisant même de gynécées le théâtre de leurs questionnements intimes, comme Totem, de Lila Avilés, Viver mal, de João Canijo, et 20 000 Species of Bees, d’Estibaliz Urresola Solaguren.
Ce dernier aborde le sujet brûlant de l’identité de genre face au du poids de la société et de la famille, le jury de Kristen Stewart ayant posé un geste fort en attribuant le prix de la “best leading performance” (il n’y a plus de prix d’interprétation genrés à Berlin) à Sofía Otero, sa toute jeune actrice. L’actualité, encore, se trouve au cœur d’errances diverses: entre migrations et héritage colonial chez Giacomo Abbruzzese, pour un Disco Boy à l’esthétique aventureuse (la photographie d’Hélène Louvart se voyant judicieusement récompensée), ou dans un no man’s land post- apocalyptique (ou post-pandémique) chez Rolf de Heer. À quoi d’autres préfèrent d’intemporelles dérives, en quête de sens dans The Shadowless Tower, de Zhang Lu, ou dans Afire, de Christian Petzold… Ou afin de tenter de redéfinir la géographie des sentiments, motif au cœur de quelques-uns des films les plus stimulants de cette Berlinale, le Past Lives susnommé comme le Passages, d’Ira Sachs, découvert au Panorama et qui vaut au cinéaste new-yorkais de joliment se réinventer à la lumière de Paris…
The Shadowless Tower
De Lu Zhang (Compétition)The Shadowless Tower a pour cadre un quartier de Pékin dominé par une immense pagode dont la légende veut que l’ombre ne soit visible que sur les plateaux tibétains. C’est là que l’on découvre Gu Wentong, critique gastronomique entre deux âges, dont le film, adoptant le rythme ondoyant de ses déambulations, tente le subtil portrait en rimes, alors qu’il tente de renouer les fils de son existence.
Passages
D’Ira Sachs (Panorama)Ne réussissant plus à financer ses films aux États-Unis, le cinéaste new-yorkais Ira Sachs se tourne désormais vers l’Europe. Après Sintra pour Frankie, Paris prête son cadre cinégénique à Passages, triangle amoureux que le réalisateur, bien aidé par un formidable trio d’acteurs -Franz Rogowski, Ben Whishaw et Adèle Exarchopoulos-, emmène en de sinueux et stimulants horizons.
Here
De Bas Devos (Encounters)Quatrième long métrage de Bas Devos, Here a remporté le prix du meilleur film dans la section Encounters. Le cinéaste belge y parcourt les étendues vertes séparant Bruxelles de Vilvorde en compagnie d’un ouvrier de la construction roumain et d’une bryologiste belgo-chinoise, pour un road-movie pédestre portant un regard aussi bienveillant qu’insolite sur la ville et les relations qui s’y nouent.
Sur l’Adamant
De Nicolas Philibert (Compétition)L’Ours d’or à Sur l’Adamant, de Nicolas Philibert, c’est la (bonne) surprise du jury présidé par Kristen Stewart. Vingt ans après La Moindre des choses, le documentariste français y retourne en psychiatrie, pour partager le quotidien d’un centre de jour édifié sur la Seine, l’Adamant, allant à la rencontre des patients et des soignants dans un geste de cinéma aussi généreux que bienvenu.
Past Lives
De Celine Song (Compétition)Pour son premier long métrage, Celine Song cisèle délicatement un triangle amoureux se déployant sur une bonne vingtaine d’années entre Séoul et New York, entre souvenirs et présent. Et se joue des clichés pour livrer une œuvre sensible, une romance moderne dont l’humeur et la tonalité douce-amère ne sont pas sans rappeler le cinéma d’un Richard Linklater. Une révélation.
Afire
De Christian Petzold (Compétition)Habitué de la compétition berlinoise, Christian Petzold en est reparti avec le Grand Prix pour Afire. S’écartant de l’idéal romantique d’Ondine, le cinéaste allemand situe en bord de mer Baltique ce drame affûté où une villégiature tourne au cauchemar pour un jeune écrivain (Thomas Schubert, excellent) projetant son insécurité créative sur son entourage, tandis que les feux de forêt se déchaînent…
La Sirène
De Sepideh Farsi (Panorama)À l’instar de Marjane Satrapi il y a quelques années avec Persepolis, la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi (Red Rose) livre, avec La Sirène, une merveille de film d’animation adulte, inscrivant à Abadan, au plus fort de la guerre Iran-Irak, un récit initiatique entraînant un adolescent de 14 ans -à qui Mina Kavani prête sa voix- dans un conte inspiré combinant lumineusement réalisme et poésie.
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