Espoir dans la grisaille
Stuart Staples retrouve ses Tindersticks sur un album classieux, No Treasure But Hope, qui dépeint la beauté et la douleur de l’existence.
Au panthéon des barytons, des timbres profonds et ténébreux, quelque part entre Leonard Cohen, Lee Hazlewood, Nick Cave, Richard Hawley, Mark Lanegan et Bill Callahan, la voix de Stuart Staples a toujours eu une résonance particulière. Une certaine idée de la classe anglaise que l’adorable natif de Nottingham n’a cessé de propager aux quatre coins du monde depuis le début des années 90. Après un étrange album solo en quatre actes ( Arrhythmia) et la BO d’un film de science fiction ( High Life) pour Claire Denis -l’histoire d’un groupe de criminels condamnés à mort qui acceptent de devenir les cobayes d’une mission spatiale en dehors du système solaire-, Staples a réuni ses compagnons d’aventure pour fabriquer à l’ancienne le onzième disque de ses Tindersticks (lire la critique page 27). » Je restais sur ces projets relativement expérimentaux. Cela faisait dix ans que je n’étais plus sorti de mon studio, explique-t-il en buvant un café et en grillant une cigarette. Ça oriente la manière avec laquelle les choses sont faites, construites, explorées. Il était important pour moi que ce nouvel album soit basé sur l’aspect humain des choses. Les Tindersticks, ce sont avant tout des gens qui partagent de l’amour et une certaines vision de la musique. C’est là-dessus que je voulais mettre l’accent. »
L’un habitant à Berlin, les autres à Anvers, Prague et Londres, ils avaient en tête de se retrouver chez Staples dans la Creuse et de répéter, débranchés, autour d’un piano. Finalement, ils ont juste joué de la musique acoustique, cuisiné ensemble et écouté des trucs dans sa cave. » ça semblait presque être la chose la plus dangereuse à envisager. Aujourd’hui, j’entends toujours tout de suite comment la musique est faite, comment les studios fonctionnent… C’était fantastique de pouvoir observer notre imagination à l’oeuvre. Tant de possibilités s’offrent à nous. Tant de manières d’explorer une idée. »
No Treasure but Hope n’en est pas moins un album en phase avec son temps. Une époque étrange, changeante, imprévisible. Effrayante aussi forcément. » On vit dans une ère particulière. Je ne suis pas le genre d’auteur, de parolier qui va écrire ouvertement ce qu’il ressent à propos de ceci ou de cela. Mais ça fait partie du processus de fabrication de la chanson. La première de l’album, For the Beauty , parle je suppose de cette relation, de ce décalage, à un niveau personnel et universel, entre la beauté et la douleur de la vie. L’album existe dans cette dualité. Pinky in the Daylight est une chanson pure, jolie et optimiste. Là où No Treasure but Hope a quelque chose de désespéré. Fondamentalement, c’est un disque qui flotte sur des eaux incertaines et troubles. Comme notre monde. »
Face à la mer
Ce onzième album qui sort au lendemain de son 54e anniversaire a ramené Stuart Staples à la musique qu’il avait composée pour le musée In Flanders Fields à Ypres. Un lieu qui raconte l’histoire de la Première Guerre mondiale en Flandre occidentale. » À l’époque, j’ai dû m’instruire, j’ai dû lire. Mais plus je me suis renseigné sur les causes du conflit et moins j’ai compris. Tout ce que j’ai pu dégager, c’est une humeur. Et je ne peux m’empêcher de penser que celle dans laquelle on est plongé pour l’instant est assez similaire. On vient d’années où les gens naturellement se rassemblaient et on vit dans une époque où ils se séparent et se déchirent. »
Contre-poids optimiste? » Si une guerre mondiale éclate, elle ne sera pas à mon avis similaire à ce que nos parents ont connu. Ce sera une guerre d’argent. Les gens n’aiment pas le sang. Tout est devant notre nez maintenant avec Internet. Il n’y a plus de secret. Je ne peux imaginer qu’on puisse tolérer ça. Ce seront, je pense, le fric et l’information qui blesseront les gens. »
Les paroles de l’album ont été écrites sur l’île d’Ithaca où Staples a récemment acheté une maison. La mer est importante dans le nouveau Tindersticks. Il faut dire qu’elle est le théâtre des plus grands drames du XXIe siècle. Désastre écologique, crise des migrants. » La Méditerranée tient une place spéciale, je pense, dans nos coeurs d’Européens du Nord. Elle nous procure un sentiment d’évasion. Elle nous fait rêver. Je ne peux pas écrire directement sur la crise des migrants. En Grèce, je vois un nouvel espoir, une positivité retrouvée. Ce n’est pas juste une histoire d’argent. Je parle aussi d’un sentiment de sécurité, de liberté. C’est un endroit excitant où vivre comparé à l’Angleterre pour l’instant. »
Impossible de ne pas évoquer avec Stuart le Brexit. Le rapport de son pays d’origine à l’Europe. Même quand il vivait dans l’un des quartiers les plus multiculturels de Londres, il était de son propre aveu l’un des seuls europhiles. » L’Angleterre n’a jamais trop eu à négocier ses frontières. Elle a toujours été protégée par les mers. Mais une minorité de gens aux idées extrêmes ont fait monter ces émotions, ces sentiments, ce repli identitaire dans la population. Ils ont offert un canal pour se rebeller contre quelque chose à ceux qui souffrent, qui ont du mal, qui n’ont pas de boulot… Les Anglais qui ne voyagent pas se pensent sans doute plus proches des Américains, à cause de la langue notamment. Mais ils tiennent davantage des Allemands dans leur histoire, leur manière de penser, leur rapport à la famille. On a tous des problèmes avec l’Europe d’une manière ou d’une autre. Peut-être que le Brexit et tout ce qui se passe aujourd’hui lui permettront de se réformer. »
Le 29/01 et le 30/01 au NTGent (Gand), le 28/04 à l’AB (Bruxelles), le 30/04 au C-mine (Genk).
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