La littérature s’invite régulièrement dans les albums de BD. Pour tout dire, les deux univers ne font pas toujours bon ménage.
N’en déplaise aux adeptes du grand Marcel, Proust n’est pas, à proprement parler, un auteur chez qui l’action tient le lecteur en haleine. Pour tout dire, les amateurs de récits palpitants auraient même tendance à le trouver un brin soporifique. Cela n’a pas empêché l’éditeur Delcourt de se lancer dans l’adaptation en BD de A la recherche du temps perdu (déjà 5 albums publiés). Transporté dans le temps grâce à la rencontre d’un objet – la célèbre madeleine -, le narrateur se remémore son enfance dans la grande maison familiale de Combray. Il revit ses angoisses, quand il était obligé d’aller se coucher sans que sa mère l’ait embrassé… Il revoit cette société bourgeoise, avec ses codes étranges et ses personnages hauts en couleur… Bref, comme dans le roman, il est surtout question d’impressions, d’atmos-phères, de descriptions que l’on aimerait ciselées comme celles de Proust. Or le dessin ne permet pas facilement ce genre de prouesse. Ou alors, il lui faut de la place, beaucoup de place… Du coup, l’adaptation s’appuie sur certaines phrases-clés du roman pour diriger le lecteur. Mais ces textes tronqués n’arrivent pas à rendre toute la puissance narrative de Proust. On se retrouve à lire des albums aux dessins irréprochables, mais qui peinent à captiver le lecteur.
Un format difficile
Ce constat n’est pas propre à Proust. La collection Ex-Libris (une trentaine d’albums), dédiée aux adaptations de grands classiques de la littérature française et étrangère, regorge de ces titres bâtards. Ainsi, si l’on sent bien qu’il est réalisé par des passionnés, Le Candide de Voltaire doit prendre trop de raccourcis avec le texte original pour s’imposer en BD. A l’inverse, la série qui reprend l’histoire des Trois mousquetaires impose trop son style pour correspondre à l’image mentale que l’on s’est construite à la lecture du roman de Dumas. Même le texte de la Bible a du mal à s’imposer dans un tel format. A croire qu’il faut être vierge de toute lecture pour accrocher à ces romans redessinés. Au jeu des adaptations, la littérature policière s’en sort mieux. Ainsi, Tardi a su donner un style graphique aux histoires de Léo Malet. Plus récemment, la collection Rivages/ Casterman/Noir a accouché de quelques réussites. Dans Shutter Island, le dessinateur Christian De Metter s’approprie l’histoire imaginée par Dennis Lehane (l’auteur de Mystic River), pour nous en donner une version véritablement innovante et passionnante.
Des récits courts, contemporains et proposant une intrigue paraissent donc mieux supporter le passage en planches. Dommage pour les éditeurs qui voyaient comme une mine d’or tous les textes tombés dans le domaine public.
Vincent Genot
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