VITAMINÉ À LA SOCIOLOGIE, FAÇON SPORT DE COMBAT, LE TRAVAIL D’OBÊTRE DÉBARQUE AU CC JACQUES FRANCK. À L’EXACT CROISEMENT DU GRAFFITI ET DE L’ARCHITECTURE.
Obêtre: Graffitectures
CENTRE CULTUREL JACQUES FRANCK, 94, CHAUSSÉE DE WATERLOO, À 1060 BRUXELLES. JUSQU’AU 02/11.
8
Obêtre est une figure marquante du graffiti à Bruxelles. Il en est à la fois l’un des principaux catalyseurs et l’une des consciences les plus aigües. Armé d’un intéressant bagage théorique -sociologue de formation et licencié en Arts Visuels-, il envisage l’art urbain comme un militantisme qui a pour mission de « contrer l’arraisonnement et la privatisation des espaces publics« . Cette confiscation -Obêtre parle de « monologues » là où il faudrait faire place à un « dialogue entre les citoyens« – de plus en plus manifeste et paradoxalement de moins en moins discutée est la matière première de sa pratique. Celle-ci est intimement liée à une jeunesse passée entre voyages, rues, livres et spray cans. Toulouse, Montevideo, Tokyo, Bruxelles, autant de villes qui ont construit Obêtre, non sans que lui-même n’en modifie l’apparence en retour. Réflexif, son travail l’est très certainement qui, au fil de ses rencontres, a évolué vers l’art contextuel et la performance. Parmi ses démarches significatives, on pointera celle qui a consisté à graffer des magasins en plein jour et cependant en toute illégalité. Pour ce faire, Obêtre avait troqué le sweat à capuche et les bombes pour un bleu d’ouvrier et des pinceaux. Cette intéressante démarche, menée au début des années 2000, souligne cette évidence: c’est l’attitude qui fait le vandale. Cette logique de décryptage le pousse également à interpréter ses installations dans les galeries et institutions. Il soupèse alors ce qu’il perd (l’aspect spontané et libertaire de son action) et ce qu’il gagne (la possibilité de toucher un public différent et de l’intéresser à la problématique de l’art urbain). « Exposer en galerie, c’est prendre du recul pour poser un regard différent sur ce que je fais« , explique- t-il en précisant qu’il considère cette étape comme « ambivalente » plutôt que « contradictoire« . Un discours bien plus subtil que celui qui consiste à traiter de vendu tout graffeur risquant un orteil hors de la rue.
Espèce d’espace
Réalisée pour le Centre culturel Jacques Franck, l’intervention in situ d’Obêtre prend place dans le hall d’exposition. Elle s’appuie sur le concept de « Graffitecture » que l’artiste pratique depuis 2003. A l’époque, au coeur des chancres qu’il graffe, il trouve une matière première de choix: des piles de bois abandonnées. Directement influencé par Tadashi Kawamata, Obêtre imagine de petites habitations de fortune à partir de ces matériaux de récupération. Rapatriés à l’intérieur, ces espaces se muent en « assemblages vissés, cloués, collés ou équilibrés, de forme abstraite« . Lesquels assemblages sont passés par le feu, suggérant d’étranges pochoirs ainsi que des traces calcinées. Assisterait-on ici à la plus esthétique des installations d’Obêtre, c’est-à-dire la moins militante? Pas si sûr. Comme l’explique l’intéressé, il n’a pas pu s’empêcher de faire planer l’ombre de l’écrivain noir américain James Baldwin. Un texte mentionne un passage de l’essai The Fire Next Time. Une mise en garde? Le feu n’est jamais loin quand on pousse les gens à bout. Et les traces au mur sont peut-être celles d’une ville incendiée.
MICHEL VERLINDEN
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici