Client mystère

© National

C’est avant tout une histoire d’anonymat. Le narrateur n’a d’ailleurs pas de prénom. Il n’est qu’un numéro dans l’application de la plateforme de livraison qu’il utilise pour distribuer pizzas, sushis et autres burgers dans le grand Lille. Jusqu’au jour où une voiture le heurte et l’envoie valser sur les pavés. Blessé et contraint de disparaître de “la Flotte” -la loi de l’algorithme est claire: “Moins tu travailles, moins tu peux travailler”-, plutôt mourir que de retourner chez sa mère subir les remarques de l’oncle Jiji, patriarche de substitution et garagiste aux ongles noirs de crasse. Il choisit alors de devenir “client mystère”, un autre sans nom, qui a pour tâche la mise à l’épreuve des employés de supermarchés, sandwicheries, TGV et villages de vacances. La moindre salissure sur l’uniforme ou promo mal signalée est rapportée illico dans le grand logiciel d’une société tentaculaire où le vocabulaire marketing qui claque s’entend comme une fable de La Fontaine apprise par cœur. C’est d’ailleurs en usant parfois avec gourmandise de cette novlangue de start-up que Mathieu Lauverjat raconte, avec un excellent sens du suspense, l’ascension d’un gamin du Nord de la France, bon élève des royaumes de la cotation jusqu’à une descente aux enfers -quand la fin de l’anonymat dévoile les injustices du système- qui fait basculer le docufiction social dans le thriller glaçant de la déshumanisation des services.

De Mathieu Lauverjat, éditions Gallimard/Scribes, 240 pages.

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