Critique | Cinéma

Clara Sola, fable écoféministe de Nathalie Álvarez Mesén

3,5 / 5
Danseuse de formation, l'actrice Wendy Chinchilla Araya livre une interprétation tout en physicalité dans Clara Sola.
3,5 / 5

Titre - Clara Sola

Genre - Drame

Réalisateur-trice - Nathalie Álvarez Mesén

Casting - Wendy Chinchilla Araya

Sortie - 25/05

Durée - 1 h 46

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Adepte d’un cinéma sensoriel, presque tactile, Nathalie Álvarez Mesén signe une fable écoféministe traversée de réalisme magique qui se défait avec grâce du poids de la religion et du patriarcat. Entretien.

Elle a étudié le théâtre au Costa Rica, la pantomime en Suède et la réalisation à New York. Après plusieurs courts métrages tournés entre l’Europe et les États-Unis, Nathalie Álvarez Mesén a choisi d’aller filmer Clara Sola au Costa Rica, le pays de son enfance. Elle aime parler de ce premier long métrage, ouvertement écoféministe, comme d’un appel vibrant à la désobéissance. Derrière l’écran de son ordinateur à Stockholm, où elle est basée, la jeune cinéaste opine: “Le concept de désobéissance a en effet été déterminant dans l’élaboration de ce film. Clara Sola est né d’un exercice d’écriture pour un atelier de scénario. On recevait différentes images à partir desquelles nous étions censés imaginer une histoire. L’une des images représentait une femme en sous-vêtements, vue de dos. Elle se tenait voûtée, comme si elle avait honte. À ses côtés, se trouvaient deux autres femmes, qui auraient pu être sa mère et sa sœur, et qui semblaient en tout cas la juger. Cette interprétation personnelle a directement donné naissance à l’une des séquences-clés de Clara Sola, où l’héroïne se masturbe en pleine nature. J’ai pensé en effet que cette femme, sur cette image, venait peut-être de connaître le plus bel orgasme qui soit, et que ça lui valait de subir la réprobation de son entourage. De là a découlé mon envie de raconter l’histoire d’une protagoniste assez têtue, qui ne connaît pas la honte, mais évolue au cœur d’une petite communauté très empreinte de religion, qui condamne le désir et la libération des corps, et en particulier ceux des femmes bien sûr.

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Situant son action dans un village reculé du Costa Rica, Clara Sola s’attache en effet à montrer comment une femme de 40 ans, renfermée sur elle-même et accablée par les problèmes physiques, entreprend de s’affranchir du carcan religieux et de conventions sociales violemment répressives pour tendre vers un éveil spirituel et sensuel qui n’appartient qu’à elle. Son entourage la perçoit comme une madone guérisseuse entretenant un lien privilégié avec Dieu. Mais c’est surtout dans sa connexion profonde à la nature que Clara trouve matière à s’épanouir et se soustraire au poids du conservatisme patriarcal. Portée par un intense désir sexuel, sa quête émancipatrice se double du récit sensible d’une rémission intérieure, comme une épiphanie libératrice, la promesse fragile d’une harmonie avec soi et le monde. “La nature est le seul élément du film qui ne contraint pas Clara, prolonge Nathalie Álvarez Mesén. Elle l’autorise simplement à être pleinement elle-même. De ce fait, Clara se sent davantage faire partie de la nature luxuriante qui l’environne que de la communauté des hommes. Hors de la civilisation, nous n’avons plus à jouer aucun rôle. La question des rôles que la société nous oblige à jouer en tant que femmes m’intéresse beaucoup. Que se passe-t-il quand nous cessons de les endosser? À bien des égards, Clara Sola est une tentative de réponse à cette question. La grave scoliose dont souffre Clara ne représente rien d’autre que le poids que la société fait peser sur ses épaules. Seul le contact avec la nature lui permet de se libérer de ce fardeau.

Quelque chose d’organique

En résulte une œuvre à la mise en scène très sensorielle, presque tactile, qui établit un lien quasiment mystique entre son héroïne et les éléments naturels. Ainsi, dans le film, la terre semble trembler directement en écho aux frémissements du corps de Clara, tandis que l’envol d’un scarabée mort auquel elle vient de redonner la vie renvoie sans guère d’équivoque aux ailes retrouvées de son propre désir contrarié. Adepte d’un cinéma de la physicalité, la réalisatrice de Clara Sola reconnaît l’influence déterminante du réalisme magique cher à une certaine littérature latino-américaine sur son travail. “J’ai été très marquée, dans mon adolescence, par des histoires comme celle de La Maison aux esprits d’Isabel Allende, par exemple, où la dimension magique et la vie de tous les jours sont profondément interconnectées. J’aime l’idée d’ouvrir mon travail à la poésie et à la libre interprétation des spectateurs. Toute la dimension formelle du film va dans ce sens. Il ne s’agit pas d’asséner des vérités, mais plutôt de travailler autour de certaines thématiques tout en préservant l’idée d’un trouble, d’un mystère.

Un trouble et un mystère renforcés par le recours constant à un large éventail de symboles, que la cinéaste semble d’ailleurs souvent convoquer pour mieux les déconstruire. C’est le blanc immaculé d’un cheval qui renvoie à l’image virginale dans laquelle Clara se trouve enfermée, le bleu de sa robe de princesse qu’on dirait tout droit sortie d’un conte de fées… “Les symboles sont entièrement sujets à interprétation, et c’est ce qui m’attire dans le fait de les convoquer. Ce cheval n’est d’ailleurs pas tout à fait blanc si vous regardez attentivement… Mais oui, le concept de pureté est au cœur du film. Et quand Clara se roule dans la boue, impossible bien sûr de ne pas y voir une manière assez radicale d’exprimer qu’elle refuse de se laisser emprisonner par les interdits hypocrites qui pèsent sur elle. Quant à la robe bleue, et aux références à Cendrillon ou à La Belle au bois dormant qui se trouvent explicitement dans le film, elles renvoient à toutes ces attentes absurdes et irréalistes avec lesquelles on est amenées à grandir en tant que femmes. C’est l’idée du prince charmant et de l’amour romantique, parmi d’autres. Clara ne correspond pas au profil de la parfaite petite princesse, et pourtant, elle reste bien malgré elle profondément imprégnée de cette culture-là.”

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