Ceci est mon tort
Est-il possible de faire du cinéma en Israël en échappant à la question du conflit avec les Palestiniens? Non, répond Eran Kolirin avec Beyond the Mountains and Hills, présenté au dernier festival de Cannes.
« J’ai été choqué par certaines réactions au film. Les critiques occidentaux veulent savoir si je suis du « bon côté », si je pense comme mes personnages ou pas. Ces accusations me dégoûtent venant de gens qui ne vivent pas où je vis, qui ne vont pas aux manifestations pacifistes où je vais… Pour vraiment comprendre la complexité de la situation… » Eran Kolirin s’interrompt. Notre rencontre vient de commencer et le ton est monté très vite. De toute évidence le réalisateur, remarqué en 2007 avec La Visite de la fanfare, est fatigué de devoir se justifier d’un film pourtant difficile à interpréter avec un oeil extérieur. Il le reconnaît lui-même: « Ce film a d’abord été fait pour les Israéliens. Ce sont des choses que je voulais leur dire, à ces gens avec qui je vis. Je suis surpris qu’il se soit retrouvé à Cannes. » Nous revenons ensuite sur cette fameuse complexité de la situation. « Les Israéliens sont comme des funambules: s’ils regardent en bas, ils tombent. Et ils finiront par tomber. Pouf! C’est pourquoi le personnage de David, le père, tient le discours qu’il tient. Il veut protéger ses enfants, il leur dit de ne pas regarder en bas. A-t-il raison? Non, mais il est aussi la victime d’un piège vicieux duquel il ne peut sortir que bourreau ou victime. »
Ainsi Kolirin nourrit-il son cinéma des tourments de son pays, et pas uniquement sur les questions politiques. « Israël est un pays jeune. Et petit. Avec une Histoire très courte. Il n’y a pas de tradition en dehors des traditions religieuses. Le futur est complètement incertain alors il faut vivre au présent. C’est pour ça que, à part peut-être Barry Lyndon, je n’aime pas les films d’époque. Pour moi le cinéma est l’art du présent. » Et cela se ressent dans Beyond the Mountains and Hills, avec ses personnages comme enfermés dans les lieux qu’ils traversent, qui gardent leurs secrets pour eux et ne semblent ambitionner que le statu quo.
Esprit frondeur
« En Israël on n’est jamais au calme, jamais apaisé. Mes personnages sont à la recherche d’un refuge. Ils s’accrochent à l’idée que leur famille peut constituer un foyer. Un foyer, c’est l’acceptation, l’endroit où l’on t’aime malgré tes défauts. Mais mes personnages courent après une acceptation qu’ils n’obtiendront jamais. Ils vivent dans une communauté qui n’est prospère que grâceà l’exploitation d’une autre communauté. Et soit ils font comme tout le monde et regardent ailleurs, soit ils regardent mais se sentent impuissants. Avec les Palestiniens,il y a un fossé économique et culturel qui ne peut pas être comblé. Pas en faisant l’aumône en tout cas. C’est un problème plus profond. Et de là naît la culpabilité. »
On le comprend au fil de la discussion, Kolirin est un esprit frondeur aux prises avec les conséquences de ses propres paradoxes. « J’ai une relation d’amour-haine avec mon pays. D’un côté j’aimerais pouvoir vivre ailleurs, dans une grande ville cosmopolite comme Berlin, où je ne porterais plus la culpabilitéde mon peuple. Mais il y a la barrière de la langue et puis je me sens connecté à cette terre, j’en fais partie. Ma créativité se nourrit de cet endroit. On m’a déjà proposéd’aller tourner un film aux États-Unis mais je ne comprends pas pourquoi. Où serait mon coeur, où seraient mes tripes? Je m’en fous des Américains! Et si un film ne vient pas des tripes il n’en vaut pas la peine. Si je le faisais ce serait pour l’argent, mais hélas ça ne suffit pas à me motiver! »
La motivation, la volonté de faire quelque chose, si pas d’utile, au moins de censé, se retrouve précisément dans le personnage central du père de famille. « Une fois en dehors de l’armée, David se sent émasculé, inutile. S’engager dans l’arméeétait une idiotie. Ça l’a rendu bête car on vous y apprend à ne pas utiliser votre cerveau. C’est tellement facile d’obéir sans réfléchir puis d’être félicité pour ça! Une fois dehors, il doit penser par lui-même et il ne sait pas comment faire. » Et lorsqu’on lui fait remarquer que la dureté de ses propos ne se retrouve pas toujours dans son film, Kolirin soupire à nouveau. « Les Israéliens ressentiront très bien ces attaques, ils m’en voudront. Mais les Européens trouvent le film trop modéréet ils me le reprochent. Je suis un peu dans la merde! »
Rencontre Matthieu Reynaert
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici