Béesau
Un pied dans le jazz, un autre dans le hip-hop, le jeune trompettiste français sort le second volet de son projet Coco charnelle.
Pour écouter son nouvel album, Coco charnelle part 2, Rémy Béesau a donné rendez-vous au studio ixellois de la Brique. Proposer un disque essentiellement instrumental, dominé par la trompette, dans les locaux d’un label étiqueté rap: de loin, le choix pourrait étonner. Là est pourtant bien tout le “plot twist” proposé par Béesau. Il s’est précisé ces derniers mois: un peu à l’instar de Sofiane Pamart, tagué “pianiste officiel de la scène urbaine française”, Béesau, 29 ans, est devenu le “trompettiste du rap FR”. Depuis le début de l’année, on l’a vu ainsi pointer le bout du cuivre chez le Belge Kobo ou glisser sa touche pastel dans le dernier best-seller de Disiz (L’Amour). Après avoir invité notamment Primero sur la première partie de son projet Coco charnelle, publié en 2021, il a convié Peet, autre rappeur bruxellois en vue, sur la seconde, paru la semaine dernière.
À défaut d’être facile à circonscrire -“un vrai casse-tête, surtout en France où l’on aime toujours bien tout ranger dans des cases”-, le melting-pot est donc clairement assumé. Cela n’empêche pas Béesau de s’inquiéter et d’avertir son audience avant de lancer l’écoute: “Je vous préviens, faut aimer la trompette…” Ce qui en dit long sur les insécurités maison, frein autant que carburant inévitable de la création. Mais probablement davantage encore sur la relation contrariée que l’intéressé semble entretenir avec son outil de travail…
Trouver la bonne vague
Un coup de foudre? Pas vraiment. Quand Rémy Béesau empoigne pour la première fois une trompette, à 7 ans, c’est surtout suite à un concours de circonstances. Originaire de l’île de Ré, il vient de déménager avec sa famille à Angoulême. “Ma mère m’a trouvé une école avec des horaires aménagés pour combiner les cours avec le conservatoire. Tous les quinze jours, on changeait d’instrument. J’ai essayé la batterie, mais le prof était un vrai tyran. Finalement, je suis tombé sur la trompette. Quand le prof m’a laissé repartir avec l’embouchure toute brillante jusqu’à la semaine suivante, j’étais convaincu.” N’empêche: le cornet est ingrat. “Il faut pratiquer tous les jours, c’est très “sportif”. Si vous ne jouez pas pendant quatre jours, ça peut vite devenir pénible.” Aux exigences de l’instrument viennent s’ajouter les rigueurs du conservatoire. Avec le temps, Béesau s’en accommode de moins en moins. Résultat: à 14 ans, quand il retrouve l’océan, de retour en Charente-Maritime, à La Rochelle, il lâche prise. “On m’avait mis dans la section orchestre symphonique. Comme je zappais systématiquement les concerts le week-end pour aller surfer, ils ont fini par me virer.” Sur sa planche, l’ado tourmenté se sent enfin libre. Le surf devient sa passion. Il enchaîne les compétitions, réussit à se faire sponsoriser et voit enfin ce qu’il pourrait faire de sa vie.
La musique finit pourtant par reprendre le dessus. Entre deux rouleaux, il s’achète une MPC et commence à composer sur son ordinateur. Biberonné au rock, via son père dessinateur, Béesau dérive vers le rap. “J’écoutais beaucoup de rappeurs de la côte Est: Nas, Jay-Z, etc. Et puis Gang Starr. Finalement, c’est en creusant les samples utilisés par DJ Premier que je tombe sur Roy Hargrove (trompettiste jazz connu pour avoir aussi frayé avec la soul, le r’n’b, le hip-hop, NDLR). Je chope alors un de ses albums, en quintette. Je trouve ça incroyable! J’avais trouvé ce que je voulais faire.”
Il ressort alors sa trompette, s’acharne quotidiennement dessus, 10 heures par jour. Il reprend même des cours, et se retrouve vite à enchaîner les cachetons. “Je fais le métier, comme on dit.” Pas seulement pour des projets jazz. Il accompagne par exemple l’Américain Sinkane sur le plateau de Quotidien ou rejoint la superstar Seal sur plusieurs dates françaises. À côté de ces piges occasionnelles, il travaille ses propres morceaux et peaufine sa vision d’une musique qui flotterait d’un genre à l’autre. Touriste plutôt que puriste, Béesau est “trop curieux” que pour se fixer. “C’est aussi une question de compétence. J’ai très vite compris que je ne serai jamais le plus technique, le plus rapide, le plus virtuose. Par contre, j’ai l’impression d’avoir trouvé petit à petit mon truc à moi.”
En 2018, il sort le morceau Aliens Believe in Us. Le but avoué est alors de combiner les aventures jazz d’un Christian Scott, avec, à la fois, le “lyrisme des B.O. de Hans Zimmer et le minimalisme électronique d’un Nicolas Jaar” (sic). Aussi improbable que soit le plan de route, le résultat vaut à Béesau d’être signé sur la prestigieuse enseigne Blue Note. C’est là qu’il sort par exemple un premier projet intitulé Station balnéaire, “mais que j’ai un peu de mal à assumer”. “On voulait me faire rentrer dans la case musique chill, summer vibes, etc. J’étais dégoûté.”
Son utilisation de la trompette bouchée a sans doute contribué à cela. Il faudra donc recadrer le propos. Aujourd’hui, Béesau affirme se retrouver davantage dans le projet Coco charnelle, surtout sa seconde partie, plus proche de son penchant naturel pour “les musiques tristes”. Ici, l’amour, principale obsession du disque, est sensuel, langoureux, hautement romantique. Et donc forcément toujours un peu compliqué. “J’ai vécu des relations qui ont pu être très toxiques”, glisse l’intéressé. “Faut le reconnaître, dixit Kaki, grand-mère omniprésente, qui explique dans l’un des interludes de l’album: dans un couple, il y en a toujours un qui morfle.” Morale que l’on se permettra d’étendre à la relation qui lie Béesau à son instrument. Au détour de la discussion, il n’a pas peur d’affirmer: “Il y a des trompettistes incroyables, mais que je n’arrive pas à écouter parce que je déteste leur sonorité. C’est un instrument bizarre quand même, la trompette… Elle me plaît quand je réussis à y mettre assez d’air. Au fond, mon rêve, c’est que l’on entende bien le souffle dans mon son.” Le surfeur a parlé…
Béesau, Coco charnelle pt 2. Distribué par Universal.
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En concert le 19/10, au Botanique, Bruxelles.
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