Changement radical de registre pour l’actrice, dont Rachel Getting Mar ried, de Jonathan Demme, démontre le formidable potentiel dramatique.
A son propos, Gary Marshall, qui la dirigea dans The Princess Diaries, notait: « Anne Hathaway est une combinaison de Julia Roberts, Audrey Hepburn et Judy Garland. » On a vu comparaison moins flatteuse, mais en l’occurrence justifiée. Car si The Princess Diaries ( Princesse malgré elle) poussait le nunuche à la limite du supportable, il y avait bien chez l’actrice new-yorkaise de la graine de star, et même de super star. Ce qu’a, au demeurant, rapidement confirmé un parcours mené de main de maître, avec notamment des rôles chez Barbara Kopple ( Havoc) ou Ang Lee ( Brokeback Mountain), avant celui qui devait la faire littéralement crever l’écran, à savoir Andrea Sachs dans The Devil Wears Prada de David Frankel.
Impeccable en assistante de Meryl Streep, la tyrannique rédactrice en chef de magazine de mode, Hathaway se voyait intronisée, du jour au lendemain, » America’s Sweetheart« . D’autres se seraient contentées de capitaliser, la comédienne allait, elle, rapidement remettre sa couronne en jeu, ou plutôt s’employer à démontrer l’étendue de sa palette, se muant tour à tour en Jane Austen pour Becoming Jane, et même en espionne de choc et de charme pour Get Smart. Jusqu’à, enfin, apparaître dans Rachel Getting Married de Jonathan Demme sous les traits de Kym, jeune toxicomane au passé chargé, réinvestissant l’histoire familiale à la faveur du mariage de sa s£ur Rachel.
Un changement de registre radical, cette fois, pour la comédienne. Mais plus encore la démonstration d’un talent exceptionnel, Hathaway exprimant, tout en finesse, un formidable potentiel dramatique. » On me demande, en effet, si ce rôle constitue un tournant, observe-t-elle, alors qu’on la rencontre, mélange de charme et de spontanéité ponctuée de grands rires, dans un palace vénitien. Mais, en ce qui me concerne, je ne me perçois pas du tout comme la nouvelle America’s Sweetheart , et je ne fais pas le tour des producteurs avec cette étiquette. Je suis simplement une jeune actrice ayant beaucoup à apprendre, et le désir de raconter quantité d’histoires différentes. Quand un rôle comme celui-là se présente, je ne raisonne pas en termes de carrière, mais bien en me demandant comment jouer un tel personnage, magnifique, complexe et viscéralement honnête. »
Dans l’£il du public
Appréhender Kym passera donc, pour la comédienne, par un long travail de recherche sur la dépendance, d’intenses conversations avec Jonathan Demme, en même temps qu’elle imaginera un passé à son personnage – « mais c’était vraiment pour mon usage personnel, précise-t-elle , tout se trouvait dans le scénario. Je voulais simplement être responsable. Une chose que j’ai apprise, c’est que tout le monde a une Kym dans sa vie, que ce soit dans son entourage, ou dans l’entourage d’un proche. Cela reste naturellement du ressort privé, et on n’en parle guère, mais nous avons tous cela en commun » . Et d’encore préciser: » J’ai vraiment percé Kym un mois avant le début du tournage. Je tenais un journal, et je m’étais notamment demandé à quoi je voudrais la voir ressembler si j’étais peintre. J’ai essayé de mettre en mots, en descriptions et en phrases ce qu’elle représentait pour moi. Je me souviens avoir écrit devoir l’aimer suffisamment pour la laisser être désorientée, et permettre à d’autres de voir sa confusion. Et d’un seul coup, j’ai compris que mon travail ne consistait pas à la faire aimer des gens. Kym est Kym, et je devais faire comprendre aux gens d’où elle venait. Une fois cela réalisé, tout s’est ouvert, je ne l’ai jamais jugée. »
Voilà qui présente, sans conteste, un arc psychologique plus complexe qu’Andrea Sachs, ce que concède bien volontiers Anne Hathaway. » Elle est beaucoup plus complexe, cela ne la rend ni meilleure ni pire, c’est juste différent. Les problèmes d’Andy étaient très particuliers, ceux de Kym sont plus profonds. Andy n’a pas de bagage émotionnel particulier, alors que Kym a – pardonnez-moi -, une putain de symphonie de langage émotionnel. De ce point de vue, c’est comme si elle avait Shakespeare en elle. Il faut respecter la vérité de chacun de ses personnages: on ne peut rendre complexe un personnage simple juste pour se mettre en valeur si cela n’apporte rien à l’histoire. »
The Devil Wears Prada aura, du reste, eu d’autres incidences pour Anne Hathaway, l’initiant notamment à un univers avec lequel elle n’était guère familière. » J’ai été mordue par ce diable en Prada bien plus vite qu’Andrea ne l’est dans le film. C’est amusant. Les créa-teurs de mode sont de grands artistes, et des amis bienveillants: ils vous rendent plus belle que Dieu ne vous a créée. Quelle fille pourrait résister à cela? Mais cela peut vite devenir une dépendance; s’il m’arrive, une fois toutes les lunes, de faire les boutiques de mode, mon ordinaire demeure d’aller m’habiller chez H&M… » Quant à s’être trouvée propulsée, du jour au lendemain, dans l’£il du public, l’actrice n’y voit pas d’inconvénient majeur. » Meryl Streep, qui est certainement l’une des femmes les plus reconnaissables sur cette planète, mène une vie tout à fait normale. Elle conduit ses enfants à l’école, fait sa lessive, cuisine, lit, visite des musées, va au cinéma – c’est donc possible. Il s’agit de Meryl Streep, la meilleure actrice de tous les temps, et elle est totalement normale. Alors, moi… Même si c’est parfois un peu trop, j’ai la chance de n’avoir jamais été quelqu’un qui attire l’attention. Par nature, je suis plutôt du genre à rester en retrait et à observer. Le temps qu’on me remarque, et j’ai déjà disparu… »
Constat fait sur le ton d’une sincérité amusée et d’une évidente sérénité. » Je suis plus à l’aise avec moi-même que j’ai pu l’être par le passé. J’avais peur de n’être pas appréciée, ou d’être jugée négativement. Du coup, je me mettais en scène de façon à ne laisser transparaître que ce que je pensais positif en moi. Mais ce n’est pas tenable, et le tournage de Rachel Getting Married m’a aidée à laisser tomber ces protections. Face à Jonathan, j’étais prête à tout montrer. »
Décalages en série
Libératrice, donc, l’expérience pourrait aussi ouvrir de nouveaux horizons à celle qui débuta comme princesse modèle – rôle qu’elle ne renie, du reste, aucunement: » On pense souvent que je me suis sentie oppressée par The Princess Diaries , mais pas le moins du monde. Je trouve ce film adorable, et je suis ravie que des fillettes de huit ans continuent à le découvrir. Je suis fière d’avoir tourné un film qui signifie quelque chose pour tant de gens. » Conséquente, Anne Hathaway figurera bientôt dans un nouveau film pour enfants. Lequel s’annonce toutefois particulier, n’étant autre que l’adaptation par Tim Burton d’ Alice au pays des merveilles. Et si l’image de petite fiancée de l’Amérique semble lui coller à la peau, elle qui enchaînera encore Bride Wars qu’elle a tourné avec son amie Kate Hudson, et The Fiance de Burr Steers (réalisateur découvert il y a quelques années déjà avec Igby Goes Down), on peut là encore s’attendre à un décalage assumé: n’y décommande-t-elle pas, en dernier recours, ses noces avec un garçon pourtant réputé idéal? Fiancée (un peu) rebelle de l’Amérique? Voilà qui, tout compte fait, ne lui irait pas si mal…
Rencontre Jean-François Pluijgers, à Venise.
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