En plongeant dans l’album Hara-Kiri, les belles images, on constate que l’irrévérence des dessins politiques actuels manque singulièrement de mordant.
Les fameuses caricatures de Mahomet qui ont fait la Une de toutes les gazettes de la planète comptent pour roupies de sansonnet au regard du plus gentil dessin sorti des pages de Hara-Kiri. Dès septembre 1960, François Cavanna, Georges Bernier – alias le Professeur Choron – et Fred hissent la bêtise et la méchanceté au rang d’armes de réflexion massive. Dans une France rangée des voitures qui surfe sur la nonchalance extatique des sixties, les trois olibrius vont faire de la provocation et du mauvais goût un réveil à conscience.
Dés la première couverture, où l’on voit assez logiquement un samouraï pratiquant le rituel du suicide japonais, le journal adopte une ligne de conduite dont il ne se départira jamais: rire de tout. Première victime? La presse de l’époque, que le mensuel pastiche allégrement, en pervertissant les mièvres romans-photos des hebdos populaires, les candides fiches cuisine des journaux féminins, sans oublier l’érotisme édulcoré et hypocrite des revues spécialisées.
Le mensuel invente aussi le détournement publicitaire. » La publicité nous prend pour des cons, la publicité nous rend cons« , déclare le journal qui entame une démolition systématique et caustique de la société de consommation naissante. Il passe également à la moulinette d’un humour noir et brutal tout ce qui mérite respect et compassion: la patrie, la religion, l’armée, la morale, la maladie, la vieillesse.
Une saga unique
Victime d’interdictions de publication pour ses outrances et ses insolences, et en dépit de nombreux procès et saisies, l’aventure Hara-Kiri se poursuivra durant 25 ans et servira de piste d’envol à des dessinateurs aussi illustres que Vuillemin, Reiser, Wolinski, Gébé, Delfeil de Ton ou encore Cabu. Aussi motivés qu’incontrôlables, ces allumés du crayon élargiront épisodiquement leur cercle à de nombreux artistes comme Francis Blanche, Romain Bouteille, Renaud ou Coluche.
En parcourant les 300 pages de Hara-Kiri les belles images, on découvre une saga unique qui va révolutionner la presse et l’humour. Un humour dont la force et l’acidité n’ont pas faibli. Définitivement mort, Hara-Kiri est toujours dans la conscience collective… et cherche désespérément une relève digne de ce nom. A savoir: des dessinateurs querelleurs qui se moquent de leur renommée et de leur prestige comme de leur premier caleçon.
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Vincent Genot
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