A kind of magic
Daniel Rossen, le lutin enchanteur de Grizzly Bear et de Department of Eagles, émerveille à nouveau avec son premier album solo.
Daniel Rossen est chez lui. Dans son studio, son espace de travail. Il n’a pas allumé sa caméra tant la connexion est miteuse. Cela fait quatre ans maintenant que le magicien américain a emménagé avec sa femme à Santa Fe. Trois et demi qu’il est devenu le papa d’une petite fille. Au mois d’août, Daniel entrera dans la quarantaine. Plus tout jeune pour un premier album solo. Dix ans se sont d’ailleurs écoulés depuis la sortie de son cinq titres Silent Hour/Golden Mile. » Peut-être parce que je ne suis pas quelqu’un de très motivé, avoue-t-il. On était fort occupés avec Grizzly Bear à l’époque. Puis, j’ai bougé loin de tout dans l’état de New York. J’ai essayé de faire de la musique mais pas très activement. J’ai lu, travaillé la terre, vécu une amusante vie d’ermite. J’ai un peu abandonné cette idée de carrière, de prendre la musique vraiment sérieusement. C’était sans doute une erreur. J’aurais dû sortir un album en 2014 ou 2015. Il est plus dur maintenant dans ma position d’aller quelque part avec ce projet. Particulièrement aux États-Unis où personne n’y prête attention. » Les temps ont changé. » Je n’ai pas vraiment un nom qui dit quelque chose aux gens. Et Grizzly Bear, si on nous connaît encore, représente quelque part une ère naïve, un truc daté pour millennials. J’ai constaté depuis un vrai changement dans la culture et plus particulièrement dans la musique. Même si j’avais enregistré le disque le plus brillant au monde, il serait dur de le faire remarquer et d’attirer l’attention. »
Daniel Rossen est né à Los Angeles et a des racines russes. Il est le petit-fils du scénariste, producteur et réalisateur oscarisé Robert Rossen ( The Hustler, All The King’s Men, Body and Soul). L’un des cinéastes qui ont développé le film gris, critique à gauche toute de la société et du capitalisme. Les ancêtres paternels de Daniel vivaient dans la « zone de résidence », la région ouest de l’empire russe où les Juifs étaient cantonnés jusqu’en février 1917 par le pouvoir. » Ils venaient du côté de l’Ukraine, sans doute de ce qu’on appelle la Pologne aujourd’hui. Mon grand-père était communiste. Ça a ruiné sa vie. Il a été blacklisté et ostracisé par Hollywood. Son histoire est vraiment tragique. J’y ai pensé en écrivant certaines chansons. Comment ma famille a dealé avec son passé, a trouvé son identité. »
Les parents de Daniel ont essayé de les décourager lui et son frère de se lancer dans une carrière artistique. L’aîné a tenté de devenir acteur et a fini avocat. Daniel a étudié la linguistique et l’Histoire à l’université de New York mais s’est fait rattraper par ses mauvaises fréquentations. La première année, il y a partagé une chambre avec Fred Nicolaus, son futur partenaire dans Department of Eagles. La seconde, Chris Taylor habitait de l’autre côté du couloir, un pote de Chris Bear qu’il connaissait lui depuis les secondaires. » J’étais une espèce de music nerd. Je n’écrivais pas de chansons. Mais on a exploré la musique ensemble. Honnêtement, ils m’ont intéressé à un tas de trucs. J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer ces gens super talentueux et motivés et qu’ils me prennent sous leur aile. »
Que ce soit avec Grizzly Bear, Department of Eagles (un nom inspiré par l’artiste plasticien et poète belge Marcel Broodthaers) ou maintenant en solitaire, Rossen et sa musique ont toujours invité à se promener dans un monde féérique, onirique… » J’aime utiliser la musique comme de la peinture. Pour créer un endroit. Quelque chose de spirituel et de magique. C’est l’essence même de la musique à mes yeux. Je la vois comme une connexion spirituelle à la nature et plus largement au monde. Je cherche à en explorer le mystère. »
Chostakovitch, Bernstein, Gil Evans…
À travers son merveilleux album You Belong There, son amplitude, ses arrangements en cascade, l’Américain fait référence à ses vieux centres d’intérêt, au jazz, à la musique classique du milieu du siècle dernier. » Des choses que j’aimais quand j’étais gamin. Sans te mentir, j’adorais Chostakovitch. Les trucs soviétiques de cette période. J’apprécie aussi énormément Gil Evans, tout son boulot comme arrangeur. Les musiques de films, notamment celles de Bernstein. J’ai majoritairement travaillé avec des instruments acoustiques, des choses avec lesquelles je pouvais m’engager physiquement. »
Rossen a essayé de se faire aussi honnête avec lui-même et sa vie qu’il le pouvait, de refléter ce qui lui est arrivé ces dix dernières années, où il a été, où il a vécu. » Ma famille. Son histoire. Mais j’aime l’idée de faire de la musique dont la substance et le sens sont dans le son. Quand le contenu émotionnel de la musique est la musique elle-même. Pour moi, c’est l’opposé de la prétention même si ça peut sonner comme tel aux oreilles de plus jeunes auditeurs. »
You Belong There n’est pas un disque prétentieux. C’est un album ambitieux. Dans l’esprit d’ In Ear Park et de Yellow House. Chris Bear en signe pratiquement toutes les percussions. On croise aussi Amber Joy Wyman (Kamasi Washington). Puis John Dieterich de Deerhoof et Jeremy Barnes (A Hawk and A Hacksaw, ex-Neutral Milk Hotel) qui vivent tous les deux au Nouveau-Mexique. » Sortir cet album solo maintenant, c’est lié au fil de mon existence. Je vis loin des musiciens que j’avais l’habitude de côtoyer. Et les membres de Grizzly Bear font autre chose pour l’instant. Chris Taylor bosse sur des trucs en permanence. Chris Bear travaille sur des musiques de film. Quant à Ed (Droste) , il est retourné à l’école (pour devenir thérapeute) . Il poursuit une autre carrière pour le moment. Ce qui est génial et que je respecte. »
You Belong There, distribué par Warp.
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Le 17/05 au Handelsbeurs, à Gand.
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