L’utopie musicale de Björk

Björk à Gand pour Utopia © Santiago Felipe
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Mercredi soir, la tournée Utopia de l’Islandaise passait par Gand, pour sa seule date au Benelux. Un concert aussi audacieux que frustrant.

Sur la Sint-Pieters plein, la sono diffuse des bruits d’oiseaux tropicaux. Atmosphère de forêt vierge, de jungle amazonienne : le concert n’a pas encore commencé que Björk installe déjà son public dans l’ambiance. Trois ans après une tournée Vulnicura chaotique, interrompue après seulement quelques dates, l’Islandaise est repartie ces jours-ci sur scène dans la foulée d’Utopia, neuvième album studio porté plus que jamais par un discours écolo appuyé, mâtiné de revendications féministes. Quand sur le coup de 21h45, le rideau tombe enfin, la scène installée en plein coeur de Gand ressemble d’ailleurs à un jardin d’Eden. Posé au milieu, entre deux nénuphars géants, un trône a pris la forme d’un appareil génital féminin. Tandis que des orchidées fleurissent à vitesses accélérée sur les écrans géants, Bjork peut entamer Arisen My Senses, intro luxuriante, d’une beauté fulgurante. Derrière elle, un percussionniste (Manu Delago ) et un autre musicien pour s’occuper des machines (Bergur Þórisson) ; sur le côté, la harpiste Katie Buckley. Dès le morceau suivant, The Gate, la chanteuse est encore rejointe par l’ensemble islandais Vibraa. Le septet de flûtes restera au centre de la proposition musicale du soir. Chaque musicienne est d’ailleurs « déguisée » en nymphe des bois. Björk, elle, se promène en boots compensées, et plumes bleues, le visage caché derrière un masque stylisé. Evidemment, même quand elle se planque, on ne voit qu’elle. C’est d’ailleurs parfois ce qui a pu coincer ces dernières années : l’artiste avait beau multiplier les concepts, convier toujours plus d’invités prestigieux à sa table, on ne voyait encore et toujours qu’elle. A en devenir presque étouffant.

Était-ce d’ailleurs à nouveau le souci mercredi soir, à Gand ? Car, après trois morceaux, il va se passer ce qu’on aurait jamais cru de la part de Björk : on commence tout doucement, mais sûrement, à s’ennuyer. Les tubes Isobel et Human Behaviour, balancés en milieu de set, relancent un peu l’attention. Pas forcément la tension. Car Björk pratique une musique, sinon complexe, en tout cas froide, voire abstraite. C’est un choix – que l’on a souvent validé sur disque. Mais devant un public de douze mille personnes, en plein air, cela devient peut-être un pari. Quelque part, on s’en veut presque de ne pas davantage vouloir célébrer ce culot. Car il fut parfois payant – exemple avec Tabula Rasa ou Losss, paradoxalement l’un des passages les plus compliqués, entre cacophonie de flûtes et beats concassés. De fait, l’intelligence et l’audace n’excluent pas l’émotion. Mercredi soir, elle fut cependant un peu trop souvent absente, que pour marquer les esprits (et encore moins les coeurs). Au tout début du concert, un texte introduisait ainsi l’enjeu du soir : « It is an emergency / In order to survive as a species we need to define our utopia. » Certes. Mais cette utopie, a-t-elle vraiment un intérêt si, au bout du compte, elle ne réussit pas à totalement s’incarner ?

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