Entre tradition et modernité, Ed Harris redonne des couleurs au western dans le mémorable Appaloosa, qui fait honneur au genre américain par excellence.

Appaloosa n’est pas un hommage au western, ni un détournement du genre. Ce n’est ni un pastiche ni une parodie ni même une de ces « relectures » post-modernes pimentées de clins d’£il. Il s’agit tout bonnement d’un western, un vrai. Et de grande qualité. A la fois derrière et devant la caméra, Ed Harris s’inscrit dans la meilleure tradition du genre cinématographique américain par excellence. Il le fait avec une maîtrise formelle que l’expérience du pourtant très différent – mais déjà remarquable – Pollock (1) a sans doute favorisée. Sur le plan thématique, son récit où l’amitié virile, les rapports avec les femmes, la confrontation de la loi et de la violence, tiennent une place essentielle, rejoint aussi le grand répertoire westernien. Avec une particulière épaisseur humaine, et une manière personnelle d’aborder les affrontements violents cristallisant l’action.

Une petite ville du Nouveau-Mexique donne son nom au film. C’est là que règne un homme aussi puissant que sans scrupule: Randall Bragg. Servi par des hommes de mains brutaux, ce dernier a mis sous sa coupe une population qui le craint d’autant plus qu’il n’a pas hésité à abattre le shérif! En désespoir de cause, les notables d’Appaloosa font appel à Virgil Cole, un marshal itinérant qui va où on l’appelle pour y rétablir l’ordre. Un professionnel, un vrai, dont les services coûteux ont déjà permis à de nombreuses bourgades de retrouver la paix. Cole (Ed Harris) va donc débarquer, accompagné de son nouvel adjoint, un certain Everett Hitch (Viggo Mortensen) qui n’a pas lui non plus froid aux yeux. Entre ce duo et la bande du sombre Randall Bragg (Jeremy Irons), une partie serrée va débuter. Une partie que l’appari-tion d’une jeune veuve (Renée Zellweger) va venir quelque peu troubler d’une présence féminine convoitée…

Une femme et des fusils

L’exploration des rapports entre le trio masculin (« méchant » compris) et la femme est l’une des plus belles réussites du film d’Ed Harris. Entre réalisme on ne peut plus terre-à-terre (quant à ce qu’une présence féminine peut apporter à un homme) et romantisme esquissé par des approches dignes du roman courtois, la chose est présentée de personnelle et captivante façon. La convention sociale d’une relation entre mâle nécessairement protecteur et compagne potentielle en quête de protection est tout à la fois avérée (dur de survivre seule dans l’ouest de ces années-là quand on est plutôt jolie) et subvertie par la sensualité affirmée d’Allison French, veuve point joyeuse mais consciente de devoir faire rimer désir et sécurité.

Autre point marquant, la mise en £uvre des séquences d’affrontements armés relève tout à la fois d’une grande assurance dans le style et de choix significatifs dans la narration. Le découpage du règlement de compte dans le village mexicain est digne de Sergio Leone, avec son attention à la géographie des lieux, ses préliminaires d’une solennelle lenteur, puis le bref épisode de violence et le retour au silence. Mais loin de toute emphase opératique, Harris sèche le trait, laconique, avec une pointe d’humour noir décalé.

Le charme évident d’ Appaloosa repose en partie sur ce mélange permanent de sérieux (le premier degré du genre) et de distance légère, justifiée dans le récit même par le fait que Virgil Cole et Everett Hitch sont tous deux des individus sensibles et capables de converser avec intelligence. Ed Harris et Viggo Mortensen se font un bonheur d’incarner ces personnages aux caractères différents mais que relient – outre leur mission commune – des affinités subtiles. L’amitié restant le sujet central d’un film faisant place à la violence mais comme à regret, et où abondent les moments de douceur, de non-dit. Appaloosa n’oublie pas d’affirmer son regard critique sur la société de l’époque, surtout quand on assiste à la reconversion de l’odieux Randall Bragg en notable respecté de la ville. Mais il situe l’essentiel ailleurs, dans la peinture d’une amitié plus forte au fond que l’amour auquel elle finit pourtant par céder la place.

(1) Le premier film de (et avec) Harris, et un portrait passionnant du peintre Jackson Pollock, figure majeure de l’abstraction lyrique aux Etats-Unis.

En salles le 7/01.

www.welcometoappaloosa.com

Texte Louis Danvers

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