Serge Coosemans

Lou Reed, Kanye West, Boney M et autres fiches de lectures

Serge Coosemans Chroniqueur

Un bon deejay est aussi un bon conseiller-lectures, estime Serge Coosemans, rendant à sa façon hommage à Lou Reed. En bonus: des kikous à Boney M et Kanye West. Sortie de route, S03E09.

J’ai connu Lou Reed sur une piste de danse. Celle du Barbu, à Coxyde, un peu avant que ne déferle la new-beat, quand les deejays faisaient encore des séquences de trois morceaux d’un même genre. Vicious, extrait de l’album Transformer, était à l’époque souvent enchaîné à Boys Keep Swinging de David Bowie et à I Wanna Be Your Dog d’Iggy & The Stooges. Passait parfois aussi un autre morceau signé Reed, Waiting for the Man du Velvet Underground. J’aimais bien, ça claquait pas mal, et comme le Velvet était cité comme influence majeure par à peu près TOUS les groupes que j’aimais, je me suis dans la foulée intéressé à leur cas. C’est un univers riche, qui m’a permis de découvrir le pop-art, l’écrivain Hubert Selby Junior, la scène Max Kansas City, bref, une certaine idée de New-York et de l’Amérique. À 45 ans à peine, Reed racontait toutefois déjà pas mal de conneries. Il me paraissait artistiquement mort et déconnecté de l’époque. John Cale, son ancien comparse du Velvet, produisait les Happy Mondays, travaillait avec Eno, était repris par Bauhaus. Ca me parlait davantage, me rendait Cale plus sympathique que Reed; papy largué depuis que les Cramps, Alan Vega et d’autres avaient été beaucoup plus loin que lui dans tout ce délire came/cuir/côté obscur du rock and roll. Lou Reed, c’était trop sérieux, trop « classic rock ». En dehors de sa période d’or Banane/Berlin, je ne l’ai d’ailleurs vraiment aimé que dans le film Blue in the Face, où il est véritablement hilarant, bien davantage que lorsqu’il défendait ses escroqueries musicales, autrement dit la plupart de ses albums depuis 1975.

Quand j’ai la semaine dernière appris sa mort, je n’ai pas éprouvé grand-chose pour l’icône ou l’artiste. Par contre, je ressens toujours un immense respect et une gratitude évidente pour le passeur de cultures qu’il a un moment été. Comme ça ne date pas d’hier, il m’a dans un premier temps aussi semblé qu’il est de nos jours plus rare qu’un morceau entendu en discothèque fasse comme Vicious dans les années 80 rebondir du dancefloor vers l’art et la littérature. C’est le genre de carabistouille nostalgique auquel on peut se laisser aller mais quand on y réfléchit à deux fois, il n’y a rien en fait de plus faux. Tous les jours, en 2013, des morceaux de musique continuent de faire découvrir des choses à certaines personnes qui y trouvent la soif d’en connaître davantage et ce, aussi bien dans l’underground que dans le mainstream. Après tout, même cette grosse andouille de Kanye West a plus d’une fois probablement dirigé quelques esprits vers l’art contemporain et une face plus sombre de la musique électronique. On ne peut raisonnablement pas se plaindre que la musique qui se danse ne raconte plus rien, se soit refermée sur elle-même, n’est que du boumboum générique dont l’unique mission est de bouger les culs. Bling et superficialité ont toujours existé dans le secteur, tous comme les déclics qui poussent du dancefloor aux bibliothèques. Il y a sinon quelque-chose de profondément jouissif dans cette idée qu’une chanson de Lou Reed puisse mener à l’appréciation du pop-art ou même que le Raspoutine de Boney M donne envie d’en savoir davantage sur la révolution bolchévique.

C’est ce que j’aime dans la culture née du dancefloor. Qu’elle soit joyeusement bordélique, quasi anti-académique, et dès que dépassés les clichés du « baby, do it to me one more time », souvent passionnante. Droits civiques des Afro-Américains, toxicomanie dans le Lower East Side délabré des seventies, condition ouvrière anglaise, révolution russe, évolutions sociales et sexuelles… Un bon DJ qui choisit de bonnes chansons peut aussi être le meilleur conseiller-lecture qu’il soit. Passeur de cultures, le plus formidable des métiers.

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