Whitmer dynamite Denver: « C’est une ville rongée par le vice. Une ville où les exclus n’ont pas leur place »
Benjamin Whitmer publie avec Les Dynamiteurs un quatrième roman enragé plongeant fin XIXe dans la capitale du Colorado gangrenée par la violence et la pauvreté et où tente de survivre une clique d’orphelins.
Dans cette riche et foisonnante rentrée littéraire américaine dominée par Tiffany McDaniel (Betty), Stephen Markley (Ohio) ou Colson Whitehead (The Nickel Boys), Benjamin Whitmer fait presque figure d’outsider (de luxe) avec une quatrième livraison au titre résolument explosif, Les Dynamiteurs. De fait, les explosions au propre comme au figuré sont légion à Denver en 1895. Devenue la ville de tous les péchés, la capitale du Colorado est rongée par la violence, la pauvreté et la guerre des gangs. C’est dans cet univers à la Jack London, voire à la Dickens que Sam et Cora, deux jeunes orphelins, veillent sur leur petite bande d’enfants abandonnés et survivent tant bien que mal dans une usine toute pourrie. Pour avoir une idée du climat ambiant et anxiogène de l’époque, il suffit d’imaginer les Peaky Blinders ne sévissant pas dans le Birmingham de l’après-Première Guerre mondiale mais bien à Denver, deux décennies plus tôt. Lors d’une attaque à la barre de fer par une bande de clochards en mode armée des ténèbres, les gamins sont sauvés des » crânes de noeuds » par un géant aphone baptisé Goodnight. Qui va se prendre d’affection pour Sam et les siens. Et Sam de perdre peu à peu son innocence dans la ville pervertie.
Les Dynamiteurs est un grand roman noir tentaculaire par ses thèmes universels (la corruption sous toutes ses formes, la résilience, l’initiation, l’amour aussi) véhiculés par le prisme de la plume unique de son auteur, toujours aussi bien servie par la traduction aux petits oignons de Jacques Mailhos.
Les turbulences de l’Amérique
Ce qui frappe surtout dans le souffle de l’écriture de Benjamin Whitmer, c’est la violence sourde qui transpire de chaque page de ce fulgurant roman. Une violence tempérée par une bienveillance et une réelle tendresse envers ses personnages mais n’empêche… « J’ai fait pas mal de recherches pour écrire ce livre, explique Benjamin Whitmer joint par Skype à son domicile de Denver. J’ai passé sept années à arpenter les bibliothèques, lire les articles et les faits divers de l’époque. De quoi rendre cinglé mon agent qui s’impatientait. Croyez-moi, la violence décrite dans Les Dynamiteurs n’est pas si éloignée de celle de la fin du XIXe siècle. Bien sûr, ça reste de la fiction mais la description et le mode de fonctionnement des gangs de l’époque est authentique. Des mecs se baladaient vraiment avec de la dynamite pour faire sauter des coffres-forts, par exemple. Ce qui est chouette lorsque je fais des recherches, c’est de découvrir des éléments dont je n’avais pas connaissance. Ce que j’ai appris de plus fascinant et qui n’est pas dans le livre pour des questions de temporalité, c’est que dans les années 1920, Denver était aux mains du Ku Klux Klan. Le gouverneur de l’État était un membre du Klan et le maire de Denver aussi. Ce dernier a fait une purge au sein de la police pour y mettre des policiers inféodés au K.K.K. »
Avec son précédent roman, le magnétique Évasion, dont l’action se déroule aussi dans le Colorado avec douze détenus qui se font la malle dans le blizzard le soir du réveillon 1968, Benjamin Whitmer se servait de ce prétexte pour évoquer l’Amérique et fustiger son univers carcéral. Les Dynamiteurs, que l’auteur de 48 ans présente comme le deuxième volet d’une trilogie, possède la même force de frappe. Le même esprit. Et fait écho aux turbulences de son Amérique natale. « C’est sans doute le but recherché et c’est vrai qu’à la fin du XIXe siècle, le pays était dans un sacré marasme économique, concède-t-il. Regardez ce qui se passe chez nous depuis six mois. Les violences policières et ces scènes d’insurrection dans le pays, la pandémie et surtout une crise économique sans précédent où des millions de personnes se retrouvent sans emploi. Ceci étant, je ne suis pas pro-police. Je ne sors jamais de chez moi sans être armé non plus. Je ne suis pas fan de Trump. Comme je n’étais pas spécialement partisan de Obama qui n’a pas, et je le déplore, réussi à désengorger les prisons. »
Cette trilogie dont fait allusion Whitmer, après les plus codés et poisseux Pike et Cry Father, pourrait s’intituler Company Town. « L’idée, c’est de raconter l’influence d’une industrie, quelle qu’elle soit, sur sa population. Évasion, c’est la ville-prison et par extension l’image d’un pays qui se replie et devient de plus en plus prisonnier de lui-même. Avec Les Dynamiteurs, je me plonge dans une ville rongée par le vice. Une ville où les exclus n’ont pas leur place. L’intrigue de mon prochain livre se construira autour de l’usine de Rocking Flats, une usine d’armements nucléaires pas loin de Denver, où des gens, dont ma mère, se battent toujours pour obtenir des dédommagements suite aux maladies survenues à cause des radiations. Pour revenir aux Dynamiteurs, il n’est pas interdit de faire le parallèle entre les orphelins du livre englués dans la misère d’un quotidien à l’avenir incertain et les millions d’Américaines et d’Américains qui vivent aujourd’hui dans des conditions d’extrême précarité. Il m’est très difficile de rester optimiste. Je ne pense pas que ce pays possède encore un futur. »
Les Dynamiteurs, de Benjamin Whitmer, éditions Gallmeister, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacques Mailhos, 400 pages. ****
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