ROMAN | Les biographies fictives d’écrivains réels ont la cote ces derniers temps.
Martin Page nous avait régalés avec Beckett converti en apiculteur malicieux (L’apiculture selon Samuel Beckett), et Vincent Jolit dédie son roman à celle qui dactylographia Voyage au bout de la nuit de Céline. Ce procédé nous permet d’entrer dans l’intimité de l’écrivain alors qu’il travaille comme médecin-hygiéniste au dispensaire de Clichy, « l’endroit où la capitale déverse ses déchets et ses indésirables ». Louis-Ferdinand a immédiatement décelé chez Aimée Corre, la secrétaire du centre, l’enfant sage devenue femme discrète dont il pourra faire son scribe docile. Toutes les nuits, Aimée tape les versions de plus en plus confuses et tourmentées du Voyage que lui impose « le rapace logorrhéique et hyperactif » et ce, sans aucune contrepartie car l’écrivain est orgueilleux et incapable de reconnaissance, surtout vis-à-vis des faibles.
Les chercheurs littéraires savent très peu de choses sur Aimée; aussi Vincent Jolit entreprend-il d’imaginer ce qu’a ressenti cette jeune femme très années 30 en participant à l’édification d’une oeuvre à laquelle elle n’adhérait pas. Et quand le Voyage sort en 1932, Aimée réalise enfin qu’elle a été manipulée et elle ne peut plus que se noyer dans l’amertume. Elle doit pourtant reconnaître que ce fut une expérience qui anima « cette succession de journées identiques, sans relief, sans palpitation ». Aimée a eu besoin de Céline à une époque où l’ambition de la femme était systématiquement éteinte par les règles sociales au profit de l’audace débridée du mâle. La femme aide, l’homme travaille. Une autre facette de Céline qui colle parfaitement au personnage controversé que l’on connaît.
- ROMAN DE VINCENT JOLIT, ÉDITIONS DE LA MARTINIÈRE, 137 PAGES.
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