Grand taulier de la rubrique des hommes écrasés, Jean-Paul Dubois anime de son souffle romanesque une galerie d’attachants êtres en sortie de route. Voici notre critique de son roman Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, qui vient de remporter le prix Goncourt.
Auteur depuis 35 ans de plus d’une vingtaine de textes, dont en 2004 Une vie française (qui décrocha le prix Femina), Jean-Paul Dubois publie à la veille de son 70e anniversaire un roman fascinant, aussi tranquillement iconoclaste et profond que badin en apparence. Un texte qui reprend, mine de rien, la plupart de ses thématiques fétiches, tout en livrant à son lecteur une solide galerie de personnages hauts en couleur, existant tant par ce qu’ils incarnent que par ce qu’ils présentent au monde, par leur fantaisie de surface que par la profondeur de leur quête existentielle. Jugez: Paul Hansen, son narrateur, livre ses mémoires depuis une cellule de la prison de Bordeaux (Montréal), qu’il partage avec un biker chafouin -codétenu promettant d’« ouvrir en deux » tous ceux qu’il abhorre, tout en portant haut la phobie des rongeurs et des coiffeurs. D’Hansen, on ne connaîtra la cause de l’emprisonnement qu’aux dernières pages, après qu’il nous aura narré par le menu les circonstances de sa naissance, ses errements, ses obsessions pour la mécanique en général et les piscines en particulier… Jusqu’à ses 26 belles années passées à endosser la livrée de surintendant/homme à tout faire au sein d’un complexe immobilier canadien. Seul indice, dès le départ: suite à la perte soudaine des trois êtres qui comptaient le plus pour lui (son père, pasteur danois ayant noyé dans le jeu sa crise de foi; Winona, sa femme, pilote amérindienne de coucou; Nouk, sa chienne, quasiment chamane), il a commis un acte d’une violence extrême, qu’il peine à sincèrement regretter.
Tendre pessimisme
Au fil des pages, tandis que le lecteur voit se confirmer l’affection qu’il nourrissait pour ce Paul dès les premières, Dubois plonge ses personnages dans un espace-temps toujours soumis aux tourments, aux tempêtes, et qui rend joyeusement désespérée notre commune quête de sens et d’une place idoine dans l’Univers. À l’instar de son protagonsite face aux propriétaires de son complexe immobilier, l’auteur accomplit « un ouvrage gigantesque, stimulant, épuisant aussi car jamais fini, pratiquement invisible puisque consistant à maintenir à l’équilibre de la normalité soixante-huit unités soumises à l’érosion du temps, du climat et de l’obsolescence. » Au point que l’on serait tenté de recompter le nombre total de personnages mis en scène par Dubois au fil de son oeuvre, convaincu qu’on en trouverait précisément soixante-huit, soit un « petit monde imaginatif (…) capable de produire une infinie combinaison de pannes, de soucis et d’énigmes à résoudre« … En décrivant les parents du narrateur, un locataire/ami assureur, un codétenu, un organiste de génie, voire le sombre costkiller qui finira par pousser Hansen à bout, Dubois lance autant de pistes existentielles envisageables, dans un monde qui substitue aux sensations des statistiques, aux atermoiements des rapports d’efficience, à la méditation poétique des grognements impatients. « Il y a une infinité de façons de gâcher sa vie« , constate-t-il, tendre jusque dans son pessimisme. Alors, autant conserver la liberté de choisir son poison, sans se voir imposer les diktats hystériques de petits marquis gestionnaires.
Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon de Jean-Paul Dubois, ÉDITIONS de L’Olivier, 256 pages. ****(*)
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