Shalom Auslander: « Je trouve la vie trop sérieuse pour ne pas m’en moquer! »

Nadine Monfils
Nadine Monfils Écrivain et journaliste livres

ROMAN | Issu d’une famille juive orthodoxe, Shalom Auslander aborde l’après-Holocauste avec un humour décapant et irrévérencieux. Rencontre.

L’ESPOIR, CETTE TRAGÉDIE DE SHALOM AUSLANDER, ÉDITIONS BELFOND, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR BERNARD COHEN, 350 PAGES. ****

Attendu après le succès des hilarants et iconoclastes Lamentation du prépuce et Attention Dieu méchant, le New-Yorkais Shalom Auslander -qu’on présente comme la rencontre de Philip Roth et Woody Allen- revient avec L’espoir, cette tragédie. Soit l’histoire de Solomon Kugel, qui a décidé de fuir l’agitation de la Grosse Pomme en s’établissant dans un lieu plus champêtre avec sa famille. Mais ses rêves s’envolent vite! Entre sa belle-mère qui se cramponne à la vie « par devoir de mémoire envers l’Holocauste » alors qu’elle ne l’a même pas vécu, sa femme qui passe son temps à lui chercher des poux, et un pyromane qui sème la terreur dans le bled, Solomon est perturbé par des bruits bizarres provenant du grenier. Et y découvre une vieille complètement décatie qui prétend être… Anne Frank!

Votre personnage, Solomon, a l’angoisse de finir sa vie sur des points de suspension. Avez-vous également cette obsession de vouloir terminer votre existence sur une phrase intelligente?

Non, pas sur une phrase intelligente, mais parfaite! J’ai déjà choisi mes mots, mais je ne les dirai à personne avant ma mort car j’ai peur qu’on me les pique! Ce qui me préoccupe surtout, ce ne sont pas les derniers mots, mais d’avoir la maladie d’Alzheimer, comme mes grands-parents qui ont fini en disant des paroles monstrueuses!

La dernière page d’un livre n’est-elle pas un peu comme la fin d’une vie? La lamentation du prépuce se terminait par « Désolé » et celui-ci par un point d’interrogation. Ces mots de fin ont-ils une signification symbolique pour vous?

Le dernier mot de La lamentation du prépuce est comme une excuse auprès de Dieu, après toutes ces tentatives de s’éloigner de lui, en vain. Et dans ce livre-ci, je démontre qu’on tourne souvent en boucle. Une vieille blague raconte qu’un officier allemand dit à la radio à son homologue à Prague: « La situation ici est sérieuse mais pas désespérée » et l’autre lui répond: « De mon côté, la situation est sans espoir mais ça n’a pas d’importance. »

Vous écrivez: « Nous aurions beaucoup moins de problèmes dans ce monde si plus de gens avaient le courage de se détester. » Quelle opinion avez-vous de vous-même? Solomon est-il votre double?

Beaucoup de gens se détestent, ce qui est mon cas. Je ne m’entends pas très bien avec ceux qui s’aiment eux-mêmes. Oui, malheureusement, Solomon est mon double, comme Anne Frank et tous mes personnages.

Pour certains, on ne peut pas rire de tout. Qu’en pensez-vous?

Il m’est impossible de ne pas rire: je n’ai pas trouvé d’autres réponses aux misères de la vie. Je trouve la vie trop sérieuse pour ne pas m’en moquer! Parfois je pense que Dieu n’est pas toujours un salaud car il nous a donné le rire et la conscience de ce qu’on est.

Shalom signifie « paix » en hébreu. Vous sentez-vous en paix avec vous-même quand vous avez terminé l’écriture d’un roman?

Si j’étais en paix avec moi-même, je ne ferais rien. Mais ne pas être en paix n’empêche pas le bonheur!

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