Samuel Benchetrit: « Avec notre « modernité », on n’a jamais été aussi loin de nos rêves »
Dans Reviens, Samuel Benchetrit invite son double perdu entre deux livres à mettre le nez dehors. Un allegro gourmand sur le fil de la rêverie, au goût de reviens-y. Rencontre.
Sous le vernis d’une apparente décontraction, Samuel Benchetrit travaille sur le ténu et l’intime. Tour à tour écrivain (Les Chroniques de l’asphalte), réalisateur (J’ai toujours rêvé d’être un gangster), dramaturge, c’est bien le tissu social, avec ses dérèglements et ses failles, qui l’intéresse. Depuis son premier roman Récit d’un branleur et le court métrage Nouvelles de la tour L, Benchetrit fredonne pour les laissés-pour-compte. Ici, depuis le départ de son fils pour un voyage autour du monde, le narrateur, écrivain de son état, ne dort plus. Entre Quatre mariages pour une lune de miel et visites nocturnes d’un livreur fantôme Amazon, il tente d’augmenter son sommeil en agrandissant la literie: « Noter ses rêves pour en faire des livres plutôt que de rêver d’en faire. » Derrière le coup de la panne, Benchetrit se joue élégamment des mésaventures avec éditeur, ex-femme et contrôleur des impôts pour refaire le plein de super… Et de filer une déclaration d’amour filiale et quelques scènes burlesques tordantes -dont une épopée sur la réintroduction d’un canard en bassin de maison de retraite! Savoureux.
À vos débuts, vous aviez mentionné cette phrase qu’on vous avait soufflée: « Si tu t’ennuies, fous-toi à poil et descends en bas de chez toi, il va t’arriver un truc… »
C’est Trintignant qui dit ça. Tu te fous à poil, tu fais du stop… Celui qui va s’arrêter, vous allez avoir des trucs à vous dire! Y a un peu ça dans le livre, j’y ai pensé. Le personnage ne se met pas tout nu mais sort de chez lui pour essayer de voler un exemplaire de son livre dans une maison de retraite. C’est quand même une première sortie à fond de caisse! (sourire)
Cet écrivain se trouve dans un état de vacance, cherche quoi faire. Par ce truchement, vous évoquez le fait que l’on ne sait pas toujours comment saisir, se mettre à l’oeuvre…
Cet écrivain se trouve à un moment où il est limite sclérosé: non pas en panne d’inspiration, mais dans un entre-deux. Ce qui me plaisait, c’était ce point de départ différent des livres précédents où j’avais des personnages qui étaient dans une vie quotidienne avec femme, enfants et qui allaient tout perdre… Ça m’intéressait de voir comment lui pouvait au contraire gagner: retrouver l’inspiration pour commencer et chercher un livre passé pour essayer d’en écrire un nouveau.
Peut-on y voir une référence à la période qui a précédé l’écriture de Chien?
C’est exactement ça. J’ai eu un moment difficile après un film que j’ai tourné en Belgique, Chez Gino, qui ne m’avait pas du tout rendu heureux. Je l’avais raté, c’était un film bancal. Il y avait des choses que j’aimais, une sorte d’hommage au cinéma italien. Mais je n’étais pas bien, surtout je n’étais plus sur la bonne route. Il a fallu le temps pour écrire Asphalte, pour écrire Chien, reprendre un peu le goût.
Ce goût pour la légèreté du cinéma italien fait partie de vos inspirations?
C’est un humour qui voyage. Le cinéma italien a eu une sorte d’humour ghetto/pauvre, surréaliste, irréel. Même pendant le néoréalisme, quand De Sica fait Miracle à Milan, c’est complètement extraordinaire. Il y a une grande élégance dans le fait d’être drôle quand on est dans la merde. Je crois que c’est un humour qu’il y a eu en Belgique. Et puis c’est aussi un humour poétique, imagé. J’ai grandi dans des cités HLM où il y avait beaucoup ça: de la violence mais aussi un autre langage, un humour sur nous-mêmes.
Il y a aussi le rapport à l’invisible, l’absence traversée par des spectres…
Avec notre « modernité » -elle aussi invisible, impalpable-, on n’a jamais été aussi loin de nos rêves, de ce qui faisait avant nos légendes. On a l’impression d’être intelligent parce qu’on ne croit plus aux fantômes. Je suis fasciné par le fait qu’on refuse les visites de nos rêves. Le livre se met en branle par l’invisible qu’il va créer: un livreur fantôme nocturne, Pline l’Ancien, un fils absent avec qui il ne communique que par mail… Ces choses vont d’abord le faire sortir de chez lui et puis surtout se réunir, activer son inspiration. À partir d’un certain âge, on a tous perdu des gens: physiquement, amicalement et amoureusement. J’aime bien l’idée que chaque personne est entourée d’une foule d’êtres invisibles.
Le domaine du rêve ne côtoie-t-il pas celui de l’absurde?
J’aime ce mot plus que tout, de plus en plus. Pour moi, il est camusien. C’est extraordinaire l’absurde chez Camus: beaucoup plus puissant, plus creusé, mais je viens de là, je m’y retrouve. J’ai lu une nouvelle extraordinaire dans L’Exil et le Royaume: c’est une femme très seule qui touche un tout petit héritage de 5.000 francs. Et le seul truc qu’elle trouve à s’acheter, c’est sa future tombe. Tous les jours, elle se rend visite à elle-même. Je trouve merveilleux de regarder le monde de cette façon-là.
Par son oralité, votre style dégage une grande proximité avec le lecteur…
J’essaie de me laisser moins étouffer par des idoles, des expériences passées et le futur qui serait l’arrivée de mon livre. Sur la facilité d’écriture, c’est peut-être ce qui a pu être mon école: j’aimais des écrivains parce que, tout de suite, j’avais un rapport d’amitié avec eux. C’est l’idée d’écrire un livre ami, qui tient dans la poche. Un peu comme ce que dit le personnage de Salinger, Holden Caulfield, dans L’Attrape-coeurs: « J’aimerais avoir un livre. On serait amis, ce livre me ferait du bien et quand j’aurais un problème, j’aurais le numéro de l’auteur et je l’appellerais. » Si je dois penser à mon lecteur idéal, j’imagine tout de suite un môme de 20 ans, qui ne saurait pas trop ce qu’il veut faire dans la vie, mais qui serait un peu intéressé par l’écriture, qui ressemblerait un peu à mon fils d’ailleurs dans le livre. Essayer de ne pas l’ennuyer lui, ce serait déjà pas mal.
Reviens, de Samuel Benchetrit, éditions Grasset, 252 pages. ****
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