Rentrée littéraire: Éric Neuhoff dézingue l’édition
Éric Neuhoff tombe le masque et prend la plume pour décrire dans Rentrée littéraire un milieu de l’édition parisienne en train de disparaître, et dégaine en interview sa nostalgie réactionnaire pour flinguer l’époque actuelle.
Journaliste au Figaro, critique de cinéma, écrivain et essayiste, Éric Neuhoff aime dézinguer. Le 7e art hexagonal, son sujet de prédilection, avait pris cher dans (Très) Cher cinéma français (Prix Renaudot essai en 2019). Au tour du cénacle littéraire parisien de passer à la moulinette de sa plume légère et primesautière. Dans Rentrée littéraire, le néo-hussard rigolard décrit un monde en train de disparaître, celui de l’édition à Saint-Germain-des-Prés au travers de la vie et du travail de Pierre et Claire, sexagénaires fringants dont le métier est d’éditer et lire. Rencontre caustique.
De quel monde parlez-vous dans votre roman?
J’avais envie de décrire cet environnement situé, pour l’instant, entre trois ou quatre pâtés de maisons. Car cela s’expatrie beaucoup actuellement dans le monde de l’édition avec les fusions en cours, notamment celle entre Hachette et Editis. D’ailleurs, le jour où Albin Michel quitte Montparnasse pour Issy-les-Moulineaux, j’arrête d’écrire. Car l’on fait ce boulot pour s’amuser et, comme les personnages du roman, passer son temps à lire des livres, à en écrire, à aller au restaurant avec les éditeurs, à courir de cocktail en cocktail, à être invité dans les salons du livre de province. C’est un plaisir, pas du travail. Je ne veux pas que l’esprit de sérieux gagne complètement la partie. Mais il n’y a déjà plus le même état d’esprit. Il n’y a qu’à voir les menus des éditeurs au restaurant: on est passé du cassoulet et des magnums de bordeaux à la salade verte avec du quinoa accompagnée d’une bouteille d’eau gazeuse! En fait, je voulais écrire un vrai roman: d’ailleurs, c’en est un, puisque ce couple reste ensemble toute sa vie. Qu’au milieu de cet univers de papier, avec toutes les tentations, les divorces, les séparations, les petites trahisons, cet homme et cette femme puissent rester unis et être toujours émerveillés d’être ensemble, est assez romanesque.
Cette relation s’avère plutôt un ménage à trois entre Pierre, Claire et Paris…
La ville est le personnage essentiel; je souhaitais que l’on voie Paris, que l’on s’y balade avec un côté guide Michelin, car ce couple passe son temps au resto. Je voulais que le lecteur se promène dans les rues, voie les boutiques, dont certaines n’existent plus; que ça ressemble à certains films de Woody Allen décrivant des lieux dans New York. L’air du temps dans un roman est essentiel, il rend les faits vivants.
Vous écrivez à propos de vos protagonistes que « leur jeunesse avait quelque chose de doré ». Dans (Très) Cher cinéma français, vous parliez déjà de « l’or du temps« . Êtes-vous à la recherche du temps passé?
Lorsque l’on se remémore sa jeunesse, elle prend une dimension magique, qui ne reviendra plus. La jeunesse est une monnaie qui n’a plus cours. Avec un roman, vous êtes toujours forcé de regarder dans le rétroviseur. Raison pour laquelle la science-fiction n’est pour moi pas romanesque. Le roman, c’est forcément des phrases à l’imparfait. Un roman au futur, c’est affreux. Le nouveau roman s’écrit au présent, ce qui est terriblement glacé…
Dans le roman, on aperçoit dans une librairie François Mitterrand se pencher sur Les Deux Étendards, grand et gros roman de Lucien Rebatet, collabo patenté. Le clin d’oeil est-il autant littéraire que politique?
Plutôt littéraire. Depuis son règne, il n’y a pas eu beaucoup de présidents sur lesquels on pouvait tomber dans une librairie par hasard, ce qui m’est arrivé. Je savais par ailleurs que Les Deux Étendards était l’un de ses romans favoris. On a fait croire à Mitterrand qu’il avait du talent. Je vous rappelle que Le Monde le 11 mai 1981 avait titré en une: » François Mitterrand: un écrivain né« . Or sa production n’était que des dictées faiblardes de l’ordre du sous-préfet aux champs. Sans doute était-il bon lecteur…
Un président lettré fait-il un bon président?
En tout cas, il a lu les résultats de l’élection: il connaît les chiffres à défaut des lettres. La culture n’est pas un handicap pour devenir président: raison pour laquelle la situation actuelle est inquiétante. Connaître l’Histoire est tout de même un atout lorsque l’on fait de la politique. Cela confère un socle. Mais la politique et la campagne actuelles ne me passionnent pas. Le personnel a sérieusement baissé: ça manque de personnalités de la trempe de Pasqua, Marchais ou Edgar Faure… De brillants orateurs et des personnages hors du commun. Aujourd’hui, on constate une sorte d’uniformisation, de lissage… et pas seulement en politique. En France, nous prenons les défauts de tous les systèmes: du communisme, du capitalisme, et aucun avantage. Actuellement, nous sommes en train de prendre les pires défauts des Américains avec le wokisme.
C’est-à-dire?
Ces gens ne savent absolument pas ce qu’est l’art, la littérature, le cinéma. Ils sont totalement à côté de la plaque en mettant de la morale partout, alors que tout ça devrait être l’espace de la subjectivité, de la liberté et de l’excès. C’est sans doute la chose la plus emmerdante qui se passe aujourd’hui, bien plus que le Covid. Le wokisme empêche tout humour et toute complexité du propos. La complexité, c’est la contradiction, le scandale, l’injustice… C’est ce qui rend la vie palpitante. Les tenants du wokisme veulent lisser absolument tout et nous préparent un monde d’un ennui terrible.
Cela touche aussi le milieu littéraire français selon vous?
Quand j’ai entendu Tahar Ben Jelloun proclamer après la remise du Goncourt qu’il n’était pas indifférent de donner le prix à un écrivain qui s’appelle Mohamed (Mohamed Mbougar Sarr pour La Plus Secrète Mémoire des hommes, NDLR), j’ai trouvé cela débile. Ce n’est donc pas la qualité du livre qui était en jeu, mais l’origine de l’auteur. C’est absurde…
Vous pensez qu’il était sérieux?
Bien sûr. Vous avez déjà vu Ben Jelloun rigoler? (rires)
Rentrée littéraire, d’Éric Neuhoff, éditions Albin Michel, 208 pages. ***(*)
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