Rachel Cusk, Gallmard
La Dépendance
208 pages
Avec La Dépendance, prix Fémina étranger, Rachel Cusk déboussole et s’aventure toujours plus profondément dans la réflexion existentielle.
En débutant la lecture du dernier roman de Rachel Cusk, on était persuadé que la maison et la dépendance du titre étaient situées dans le quartier parisien du Marais. Car c’est là que vit l’écrivaine, en “réfugiée du Brexit”, comme le titrait récemment Le Nouvel Observateur. On sait les œuvres de l’autrice britannique particulièrement troublantes, essayons de ne pas nous y égarer d’entrée: si son roman débute bien à Paris, c’est dans une mystérieuse étendue marécageuse que la narratrice M. réside, en compagnie de Tony, son mari… Alors qu’elle déambulait dans la Ville Lumière plusieurs années auparavant, M. était tombée par hasard sur les peintures de L., artiste reconnu. Un choc.
Ayant aménagé avec son époux la dépendance de sa maison en une résidence d’artiste, M. décide d’y inviter L. Après plusieurs refus, ce dernier accepte finalement et débarque, contre toute attente, en compagnie de Brett, une ravissante jeune fille à la bouche “en forme de boîte aux lettres”. Cette venue, que M. appelait pourtant de ses vœux, ne va pas vraiment se dérouler comme elle l’espérait. “Quand je regardais le marais (…), il ressemblait souvent à un tableau qu’il aurait pu peindre.” Le mufle s’entête à vouloir peindre tout le monde sauf M., il serait même prêt à la “détruire”… Elle avait rêvé de sa visite, désiré sa liberté; lui hante ce fichu marais de sa présence pesante et néfaste, et le récit aussi.
Seconde femme
Comme souvent, la toute récente lauréate du Prix Fémina étranger explique peu (et au compte-gouttes) le passé de chacun des personnages. Alors, le trouble persiste. Notamment avec ce dénommé Jeffers à qui M. raconte toute l’histoire. On ne saura rien de lui bien qu’il soit mentionné à peu près toutes les trois pages.
On n’en est pas moins happé par ses phrases, elles, toujours simples. Il en va de même pour ses descriptions, très justes, des relations humaines. Comme celle que M. entretient avec sa fille, squattant elle aussi dans le marais, en compagnie de son petit ami fantasque. L’occasion pour l’autrice de Kudos de traiter des affres de la parentalité, ou encore… du fait de ne pas avoir de chien (“le non-chien”). Le titre original du roman, Second Place –un second lieu-, pourrait se rapprocher de ce que certains appellent “la seconde femme”: ce moment de la vie d’une femme où elle bascule dans le vieillissement (c’est aussi le titre d’un passionnant essai sur le vieillissement des actrices sorti récemment et signé par la critique de cinéma Murielle Joudet). Toujours aussi réfractaire aux lois du roman, Rachel Cusk brouille une nouvelle fois les pistes, passe du semi-huis clos vaguement comique au thriller psychologique sans meurtre, pour livrer une nouvelle réflexion sur l’art, la condition féminine, et surtout nos existences troublées.
Rachel Cusk sera présente à Bruxelles pour une rencontre publique à Bozar le 24 novembre. www.bozar.be
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