Quentin Tarantino, Flammarion
Cinéma spéculations
448 pages
Le réalisateur de Once Upon a Time… in Hollywood s’étend sur les films ayant façonné ses goûts dans un ouvrage à l’érudition jubilatoire.
En attendant de tourner son dixième long métrage, Quentin Tarantino meuble ses loisirs avec l’écriture. Deux ans après Il était une fois à Hollywood, novélisation de son dernier film, le voilà qui signe Cinéma spéculations, un ouvrage où il laisse libre cours à sa passion pour… le cinéma. On le sait, le réalisateur de Pulp Fiction a la cinéphilie compulsive et obsessionnelle, virus contracté bien avant de travailler à Video Archives, quand, encore gamin, sa mère et son compagnon du moment l’embarquaient lors de leurs sorties cinématographiques, sans égard pour le (double) programme proposé. Le jeune Quentin a donc 7 ans lorsqu’il découvre au Tiffany Theater de Sunset Boulevard, à l’orée des années 70, Joe, c’est aussi l’Amérique de John G. Avildsen et Where’s Poppa?, de Carl Reiner, première d’une longue série de doubles séances qui le verront enquiller les films, et forgeront précocement son regard: “Pour illustrer la façon dont ces films ont façonné mes goûts, en 1968, mon film favori était Un amour de Coccinelle. En 1969, c’était Butch Cassidy et le Kid. Mais, en 1970, mon film préféré était M.A.S.H., une comédie militaro-sexuelle à thématique anarchiste.”
Tarantino est un conteur hors pair -ce n’est pas pour rien qu’il a obtenu deux fois l’Oscar du meilleur scénario, pour Inglourious Basterds puis Django Unchained-, et la façon dont il embrasse ces années décisives de formation à travers les films qui l’ont marqué se révèle aussi férocement jubilatoire qu’érudite. Qu’il évoque La Horde sauvage ou Délivrance (appréciés pour la première fois dans un même double bill, on croit rêver), qu’il s’attarde sur Bullitt ou qu’il décortique Légitime violence, c’est la même passion (hautement communicative) qui affleure, au service d’analyses méticuleuses nourries, au besoin, d’anecdotes définitives. S’il a un sens affûté de la punch-line -par exemple: “Si L’Inspecteur Harry était un boxeur, ce serait Mike Tyson au summum de sa période roi du K.-O.”-, Tarantino a aussi le regard aiguisé, qu’il dresse un panorama sans complaisance du Hollywood des années 80, qu’il rapporte Taxi Driver à La Prisonnière du désert, ou qu’il imagine le classique de Martin Scorsese réalisé par Brian De Palma. Au fil des pages, c’est encore, forcément, l’autoportrait en creux d’un vrai cinglé de cinéma que l’on découvre, échappées à l’appui. Ainsi, lorsqu’il salue longuement Floyd Ray Wilson, celui qui fut son mentor lorsqu’il avait 15-16 ans, et sans qui l’envie d’écrire des scénarios ne l’aurait peut-être jamais effleuré. La suite appartiendrait à l’Histoire, faisant de Quentin Tarantino un cinéaste culte. À quoi il ajoute désormais une casquette d’écrivain lui allant fort bien; porté par une verve inimitable, ce condensé de cinéphilie fort en gueule est un must.
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