Critique | Livres

Que vaut La Realidad, écrit par Neige Sinno avant le fracassant Triste tigre

Neige Sinno fait de La Realitad un texte hybride, comme Triste tigre. © AFP via Getty Images

Neige Sinno revient sur ses années mexicaines avec La Realidad, écrit avant le retentissant Triste tigre. Un texte hybride passionnant et émouvant, en forme de quête initiatique.

La Realidad

Roman de Neige Sinno. Editions P.O.L., 272 pages.

La cote de Focus: 4/5



La Realidad de Neige Sinno est, comme son fameux Triste tigre, un texte hybride. Son début a des allures de grand roman d’aventures: en 2002, la narratrice, Netcha (Neige Sinno, sans aucun doute) et son amie Maga décident de partir pour le Mexique. Armées de livres de théories marxistes, elles visent plus précisément la région du Chiapas et un village nommé La Realidad. Elles caressent le doux espoir d’y rencontrer le fameux sous-commandant Marcos, énigmatique icône de la lutte zapatiste, et de lui offrir lesdits livres…
L’autrice reproduit quelques extraits des stupéfiants discours de Marcos. Dans l’un d’eux, il explique vouloir, «comme s’il n’était pas un être humain mais un principe chimique», se changer en Galeano, un compagnon de lutte assassiné. Et, comme lui, le texte va muter et osciller entre roman, carnet de route, essai et même enquête. Marquée par une phrase sibylline de Barbara, une amie mexicaine («Vous ne comprenez rien»), la détective Neige Sinno va enquêter pour comprendre ce qu’il s’est passé lors de ce premier voyage au Chiapas au cours duquel les deux aventurières n’atteindront jamais le village de La Realidad.

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Une écriture libre


Comme dans Triste tigre, pour mener à bien cette quête (d’identité? de la realidad (réalité)?…), l’autrice digresse et convoque ses lectures. Elle s’attarde logiquement sur des écrivains ayant déjà foulé le sol mexicain, en commençant par Antonin Artaud, ses délires sous peyotl et ses discours tristement visionnaires quant au sort de l’humanité. Puis c’est au tour de J.M.G. Le Clézio. Dans son Livre des fuites, le Nobel 2008 clame sa haine de l’homme blanc colonisateur, «la race des voleurs». Pour lui, une seule solution: «se changer en Indien». Et l’autrice de se demander «Qu’aurait-il été de nous sans la triade colonialisme-capitalisme-patriarcat?»
De son écriture libre et d’une fluidité sans pareille, elle se questionne ainsi tout au long du livre, interpelle le lecteur (l’émeut souvent), tâtonne, se confesse, se lance dans des envolées révoltées, ouvre des parenthèses pour ne les refermer que trois pages plus loin, sans pour autant nous assommer.
Elle reviendra deux fois dans le Chiapas. La première pour une «Escuelita», sorte de séjour portes ouvertes en terres zapatistes, puis pour une «rencontre internationale des femmes zapatistes en lutte» qui la marquera plus qu’elle ne l’avait pensé.
Son beau-père et violeur, celui dont il est largement question dans Triste tigre, n’apparaît ici que très brièvement, sobrement qualifié de «tyran très strict». Mais en rentrant de ces rencontres féministes, Neige Sinno ressentira l’irrépressible besoin de se lancer dans l’écriture d’un nouveau livre. «C’est un livre qui commencera au milieu d’une phrase, au milieu d’une pensée, au milieu d’une colère…»

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