On a lu Un avenir radieux, le troisième et avant-dernier volet de la saga littéraire de Pierre Lemaitre

Avec Un avenir radieux, Pierre Lemaitre pose la troisième brique de sa tétralogie des Années glorieuses. Ambiance guerre froide au menu.
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Un avenir radieux est le troisième et avant-dernier volet de la rocambolesque saga familiale de Pierre Lemaitre consacrée aux Trente Glorieuses. Avec cette fois un petit parfum de guerre froide.

Comme il s’y est engagé, le bâtisseur Pierre Lemaitre est en train de construire une cathédrale romanesque surplombant tout le XXe siècle, rien que ça. Baignant dans l’ambiance lugubre de la guerre froide, Un avenir radieux forme le troisième pilier de la tétralogie des Années glorieuses, qui elle-même fait suite au consacré à l’entre-deux-guerres, et inauguré par le mémorable Au revoir là-haut (Goncourt 2013).

On retrouve non sans bonheur la famille Pelletier au grand complet, laquelle est à nouveau entraînée dans le tourbillon d’une histoire intime et collective mouvementée. Le patriarche, Louis, dont la santé décline dangereusement, s’émeut du subit et mystérieux changement de comportement de Colette, sa petite-fille chérie. Son fils François, journaliste en vue, se retrouve malgré lui contraint de jouer les espions, au risque de froisser son sens moral et sa complicité avec on épouse, Nine. Son autre rejeton, Jean, dit Bouboule, sur qui «les nuages les plus sombres s’accumulaient», voit quant à lui ses rêves de reconnaissance sociale une nouvelle fois sapés par sa femme, l’horripilante Geneviève, plus cruelle et manipulatrice que jamais, et qui a trouvé dans l’astrologie une alliée tyrannique.

Fidèle à l’esprit éclectique de sa saga, l’héritier de Dumas paie son tribut à un nouveau genre. Après le récit d’aventure dans Le Grand Monde (2022) et la fresque sociale dans Le Silence et la colère (2023), c’est au roman d’action et d’espionnage que Lemaitre rend ici hommage avec gourmandise. Son cocktail palpitant de manigances, d’héroïsme candide, de rebondissements va comme un gant à cette période d’affrontements idéologiques et de spectre nucléaire. On saute de Paris à Prague, des bureaux du Renseignement français, où l’on fait la connaissance de Georges, stratège rusé et courtaud orchestrant la délicate exfiltration d’un agent double, à l’ambiance pesante et poisseuse de l’autre côté du rideau de fer.  

Un air de gravité

Si on s’amuse toujours autant dans ce dédale d’intrigues peuplées de personnages se dépatouillant comme ils peuvent avec leur vulnérabilité ou leur caricature –ou s’y vautrant carrément, comme ces patrons français en goguette chez les cocos–, un voile sombre plus marqué que dans les épisodes précédents alourdit sensiblement l’ambiance. Une scène de viol particulièrement sordide marque un tournant dans un cycle qui, s’il n’a jamais hésité à se confronter aux turpitudes des hommes, le faisait avec un sens du grotesque qui en atténuait la brutalité. Une gravité inédite qui marque symboliquement la fin précoce de l’euphorie d’après-guerre et l’entrée dans un monde cynique et instable.        

Pas si étonnant au fond de la part d’un auteur qui manie l’humour et les dialogues étincelants pour défolier les vanités, les poses, les mesquineries et les injustices, et dont la plume sera toujours aux côtés des faibles et des humiliés.   

A bien y regarder, les Trente Glorieuses n’étaient pas si glorieuses que ça. Mais avec un conteur-né comme Lemaitre à la manœuvre, on ne boude pas son plaisir d’embarquer pour un avant-dernier tour de manège.


RomanUn avenir radieux

De Pierre Lemaitre, éditions Calmann-Lévy, 592 p.

La cote de Focus: 3,5/5

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