Critique | Livres

On a lu Mona et son manoir, la suite anglaise des Chroniques de San Francisco d’Armistead Maupin

Armistead Maupin transpose en Angleterre les personnages de sa saga culte Les Chroniques de San Francisco.
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Que sont devenus les personnages des Chroniques de San Francisco? Réponse dans cette suite qui transplante la petite tribu et ses revendications LGBT+ dans la campagne anglaise.

Ses Chroniques de San Francisco, publiées entre 1978 et 2014 et comptant neuf tomes, ont fait de lui une star mondiale. Dans cette comédie de mœurs qui anticipait le ton, le rythme et les préoccupations des sitcoms actuelles, l’Américain Armistead Maupin ausculte les trajectoires sinueuses de personnages attachants issus de la communauté LGBT+. Une saga culte qui a marqué plusieurs générations, et donné le coup d’envoi à une prolifique production abordant les questions d’identité de genre, avec un savant mélange d’affirmations politiques, de questionnements universels (autour de la maladie, du mariage…) et d’énergie pop.

Puisque beaucoup d’eau a coulé sous le Golden Gate depuis la dernière livraison, on pensait que l’écrivain moustachu en avait fini avec la bienveillante Anna, l’excentrique Mona ou le sensible Michael. D’où la relative surprise de découvrir aujourd’hui cette suite qui a des airs de spin-off, notamment par le choix de transposer l’action et une partie de ses acteurs en Angleterre. Et pas n’importe où en Angleterre, pas dans les quartiers branchés du Londres des années 1990 qui servent d’écrin inquiet au récit –Thatcher tient fermement la barre et le sida frappe sans discernement…–, mais bien dans un manoir aussi imposant que délabré. C’est là que vit désormais Mona, suite à un mariage arrangé dix ans plus tôt avec un lord soucieux des apparences mais qui lui a comme convenu laissé les clés de son royaume pour aller vivre son homosexualité sans entraves outre-Atlantique. Devenue Milady, cette rousse au caractère bien trempé tente non sans peine de maintenir à flot ce vaisseau de vieilles pierres, flanquée de Wilfred, son fils aborigène adoptif, amateur de beaux garçons et de joints, de Nilla, la chienne la plus cool du monde, et de M. Hargis, l’antédiluvien homme à tout faire du domaine.

Avec une malice rafraîchissante, Maupin tisse des liens entre les différentes couches narratives, celle qui traite des relations parfois compliquées entre les membres de cette famille d’élection, en particulier entre Mona et sa mère (et ex-père) Anna, restée fidèle au 28 Barbary Lane. Et celle qui s’immisce dans l’intimité de ces clients mal assortis. Le point de jonction? L’empathie et la bienveillance. Aussi, quand il apparaît que le mari frappe sa femme comme plâtre, le duo mère-fils échafaude un scénario pour soustraire Rhonda aux griffes de son tyran conjugal. On navigue entre la comédie satirique, le cosy mystery et le récit rocambolesque à la Roald Dahl, un joyeux melting-pot résumé par ce commentaire de Mona: «Ma pauvre amie. Tu croyais être entrée dans un roman de Barbara Cartland et tu te retrouves dans une maison pleine de crottes de souris et d’individus un peu tordus.»  

Quand elle ne fricote pas avec la jolie postière du coin, sans se décider à officialiser leur relation, Lady Mo reçoit des touristes en mal d’exotisme aristocratique. Comme ce couple d’Américains qui vient d’arriver. Autant Madame est enchantée, autant Monsieur fait grise mine, ne goûtant guère l’inconfort du bâtiment, et encore moins l’ambiance dépravée qui y règne.

Si certaines situations frisent le didactisme queer et que l’auteur s’émoustille un peu trop quand il décrit les rapports charnels, l’esprit de tolérance et l’invitation à s’accepter soi-même qui président à cette entreprise émancipatrice force l’enthousiasme. Dans le climat actuel de retour en force d’une moralité brevetée, c’est déjà beaucoup.

    

LIVRES / ROMAN

Mona et son manoirde Armistead Maupin

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville. Editions de l’Olivier, 288 p.

La cote de Focus: 3,5/5


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