Notre sélection livres: la périménopause vue par Miranda July et un premier roman qui mélange les genres

Miranda July signe avec A quatre pattes un roman potentiellement culte.
FocusVif.be Rédaction en ligne

Gros succès aux Etats-Unis, A quatre pattes de Miranda July aborde la périménopause avec une plume crue et tendre à la fois.

A quatre pattes

Roman de Miranda July. Editions Flammarion, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Bru, 400 pages.

La cote de Focus: 4,5/5

«Je serais probablement une meilleure épouse et une meilleure mère maintenant que j’avais un amant. Un presque amant.» C’est ce que se dit la narratrice d’A quatre pattes de Miranda July. Alors qu’elle vient de toucher une coquette somme d’argent après qu’une marque de whisky s’est emparée de l’une de ses citations, elle se lance dans un road trip, direction New York, où elle s’est réservé un petit séjour juste pour elle, sans mari ni enfant. Quinze jours pour déconnecter. Ayant passé le cap des 45 ans, il lui apparaît qu’elle aura désormais vraisemblablement plus d’expérience derrière que devant elle. Arrêtée dans une station-service, à 25 minutes de chez elle, elle croise le regard d’un jeune homme. Et s’ił lui offrait in extremis l’occasion de goûter une dernière fois à la jeunesse? Son road trip est soudain contrarié. Ce n’est plus la destination qui compte, ni même le voyage, mais bien son intention –et ses raisons. La narratrice s’arrête dans un motel de Monrovia, une chambre minable qu’elle décide de redécorer, dilapidant l’enveloppe de ses vacances. Ce qui ne doit être au début qu’un petit nid douillet pourrait vite devenir un nid d’amour, si tant est que Davey, le garçon de la station-service, joue le jeu. Evidemment, rien ne se passe comme prévu. Le voyage statique de la narratrice s’avère radicalement initiatique, un temps de pause qui tient autant de la réinitialisation que de la bifurcation.

Tentez donc une petite expérience: mettez A quatre pattes entre les mains d’une lectrice, la quarantaine bien tassée, point bonus si elle est en couple avec enfant(s), et attendez. Au bout de quelques minutes à peine devraient surgir les premiers rires et autres «mais évidemment!» Le livre, qui a connu un beau succès de libraire aux Etats-Unis, est de ceux qui circulent de main en main, avec un potentiel culte comme la trilogie de Deborah Levy récemment, un de ces livres qui dessillent, et changent imperceptiblement notre vision sur le monde, ici en particulier sur la périménopause, sujet de plus en plus présent dans la grande conversation collective.

La force de Miranda July est d’aborder cette question sociétale sous le prisme de l’autofiction, avec un sens de l’autodérision réjouissant, et un vrai talent aussi pour débloquer les images qui font mouche, notamment pour évoquer l’âgisme, le sexisme, l’enfer de la vie ménagère, et le désir sous toutes ses formes. Une sorte de livre de développement hyperpersonnel, qui n’hésite pas à être cru et tendre à la fois, qui propose même des solutions, pas nécessairement clé en main mais au moins inspirantes (comme envisager le rumspringa, «un an de liberté» chez les jeunes Amish avant l’âge adulte, mais appliqué aux femmes en périménopause, «juste avant que la fenêtre se referme»). Un texte porté par une intrigue aussi surprenante que bien ficelée, d’une honnêteté confondante, et d’une drôlerie communicative.

A.E.

La Ballade des garçons-poussière

Premier roman de Jean Ciantar. Editions Les Avrils, 320 pages.

La cote de Focus: 3,5/5

Au volant de son pick-up, accompagné de son inséparable bouvier bernois, Yacob Piro serpente entre lac et montagnes. Baraqué et taciturne, le lonesome cowboy s’égare volontiers en forêt où crapahuter dans ses pensées. La nuit, les pulsations du Club Minelli attirent les garçons comme «un mauvais rêve chuchoté aux oreilles de ceux qui n’ont rien à cacher». Lorsque trois homophobes se piquent de lui foutre une rouste, ils tombent sur un os… Du jour où il a compris que son fils était différent, le père de Yacob l’a entraîné au combat pour faire face au danger «contre les fantômes des ennuis à venir».

Jean Ciantar

Entrelaçant roman noir, queer et western, La Ballade des garçons-poussière se distingue par un étonnant mélange des genres. Hanté par le souvenir d’un premier amour pendu à 16 ans au retour d’un camp pour thérapie de conversion, son héros justicier se révèle travaillé par ses blessures. «Aimer un garçon est un combat.» Hormis l’une ou l’autre coquetteries (ritournelle de trois mots scandés à la suite), les aventures bien charpentées de ce «bison buvant du Chardonnay» plantent avec adresse décor et coups au foie. L’attention portée au paysage, à l’étude du comportement animal, alterne avec des scènes de violence à la tension palpable. Entre cactus candélabres, Winchester et rasades de mezcal, la figure du bon Samaritain louvoie entre les rencontres de passage avant de faire cap vers une quête vengeresse. Tiraillés entre désir et élans de fraternité, les télescopages fortuits basculent régulièrement côté bagatelle. Ce goût des autres s’incarne dans une forme d’hédonisme rugueux rappelant l’œuvre du cinéaste et écrivain Alain Guiraudie (L’Inconnu du lac, Rabalaïre) transposée dans l’ambiance de Brokeback Mountain. «[…] la poussière de ceux qu’on a aimés prend du temps à se dissiper.»

F.DE.

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