No Future
Avec sa vision particulièrement pertinente d’un futur possible de l’humanité, Carbone & Silicium colle longtemps à la peau.
Carbone & Silicium est une histoire d’amour entre deux androïdes. Séparés très rapidement après leur mise en fonction, ils se retrouveront régulièrement tout au long des près de 300 ans que parcourt le récit. Silicium, libéré des contraintes qui l’obligeaient à rester dans les labos de la société qui l’a créé, s’est donné pour but de parcourir le vaste monde et d’en voir la totalité. Carbone, restée auprès de sa créatrice, a développé une certaine empathie pour ces êtres fragiles, autodestructeurs et égocentriques que sont les humains, humains qu’elle va tenter d’aider tout au long de sa « vie ». Chaque fois qu’ils se retrouvent, Silicium fait à Carbone le topo de ce qu’il a vu. À travers les yeux de ces deux témoins privilégiés, l’auteur en profite pour nous montrer des bribes de l’humanité en écartant un peu le rideau. Et ce n’est pas très engageant. En quelques phrases ou quelques images, il dépeint ce qu’il imagine comme futur sans en donner les clefs de lecture, laissant simplement l’imagination faire le boulot. Au lecteur de s’approprier le récit. Pour l’inspiration, il suffit à Mathieu Bablet de ramasser la merde laissée par notre société et d’en exacerber les aspects les plus nauséabonds.
De mal en pis
La technologie de la connectivité occupe évidemment ici une place de choix. Avant que tout s’effondre, l’humain, connecté en permanence, évolue dans un monde virtuel. Vous pouvez visiter le Taj Mahal sans bouger de chez vous. Ce qui, pour l’unique visiteur réel du site est une aubaine qui relève « de la science-fiction« . Les villes sont remplies d’une foule muette qui, au mieux, évolue sans but, au pire, reste avachie dans un appart’, oubliant de se nourrir ou de nourrir sa progéniture brailleuse. Le dérèglement climatique n’est pas en reste. L’Afrique est la poubelle de l’Occident, transformée en une décharge infinie d’androïdes périmés et balayée par d’incessantes tempêtes de sable. Le Japon a quant à lui pratiquement disparu sous les eaux. Le fossé séparant les riches des pauvres s’accroît. L’Europe érige un mur entre les nantis et le reste du monde mais ne garantit aucunement que tout se passe mieux du « bon » côté. De nouvelles croyances poussent les androïdes à se libérer du joug des humains de manière parfois violente, intégrant un radicalisme religieux ou participant simplement aux manifs « andros lives matter ». Le choix des couleurs brunes n’aide pas à dissiper la mélancolie qui traverse le récit. L’approximation avec laquelle l’auteur dessine les humains, si elle peut freiner à la lecture au début, se révèle un atout lorsque le monde s’effondre et que les corps se transforment peu à peu en un assemblage informe de chair et de métal. Reste l’amour inconditionnel que se portent les deux androïdes…
Carbone & Silicium
Antitipation. De Mathieu Bablet, éditions Ankama, 272 pages. ****(*)
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