Jennifer Haigh, éditions Gallmeister
Mercy Street
431 pages
Indépendante et solitaire, Claudia travaille depuis des années dans une clinique de Boston où l’on pratique l’avortement. Elle accueille, conseille, accompagne ces femmes, jeunes et moins jeunes, qui font le choix, jamais simple, d’interrompre leur grossesse. Même ici, loin des États les plus conservateurs de l’Amérique profonde, cette activité n’est pas anodine. Le comité d’accueil hostile qui campe devant l’établissement, été comme hiver, est là pour le lui rappeler chaque matin. Mais il faut plus que quelques illuminés et des pancartes délirantes -“Avorter provoque le cancer du sein”, ce genre- pour intimider celle qui a grandi dans un (im)mobile home insalubre entourée d’enfants placés que sa mère recueillait pour arrondir ses fins de mois. Un environnement white trash qui forge le caractère mais qui hante rétrospectivement l’assistante sociale. Pour faire tomber la pression, elle trouve souvent refuge chez son dealer d’herbe, Tommy, malabar tatoué et placide dont le business est menacé par la légalisation du cannabis. C’est dans son salon que Claudia va croiser sans le savoir un des militants pro life qui tente de donner un sens à sa vie ratée en traquant les patientes de la clinique de Mercy Street pour le compte d’un survivaliste pleurant le déclin de la race blanche. Avec bienveillance et une sorte de détachement cotonneux, Jennifer Haigh entremêle ces parcours cabossés, offrant un échantillon “à la Fargo” d’une Amérique précarisée. Un récit choral saupoudré d’ironie qui capte avec justesse le dérèglement émotionnel de l’époque, résumé par cette confession caustique de Claudia: “Qui allait bien? Au mieux, elle n’allait pas trop mal. Objectivement parlant, aller bien plaçait la barre beaucoup trop haut.”
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