Marin Ledun, Éditions Gallimard/Série Noire
Free Queens
414 pages
Avec Free Queens, Marin Ledun signe un thriller coup de poing autour d’un plan commercial basé sur l’exploitation sexuelle des femmes dans un Nigeria corrompu.
Deux ans après le fulgurant Leur âme au diable où le Français s’attaquait à l’industrie du tabac et, entre guillemets et pour rester poli, à ses “dérives” commerciales, Marin Ledun change de continent sans perdre ni de sa force, ni de son intensité narrative et encore moins de son talent. Avec le très engagé Free Queens, l’auteur s’installe virtuellement dans un Nigeria corrompu jusqu’à la moelle et dénonce les agissements de la multinationale de la bière First -nom fictif même si on reconnaît aisément la “pils” à la bouteille verte préférée de nos amis bataves- et “qui s’appuie, confirme Marin Ledun, sur des réseaux de prostitution pour asseoir une partie de sa stratégie commerciale”. C’est son impeccable travail de documentation qui le rapproche des Don Winslow, Caryl Férey ou Frédéric Paulin. Parce que “tout est vrai et tout est utile pour construire une fiction autour de cette réalité”, concède-t-il.
Soit l’arrivée sur le tarmac de l’aéroport de Lagos, via un vol Air France, de la journaliste Serena Monnier suite au témoignage de Jasmine Dooyum, une des 45 000 femmes nigérianes qui alimentent les filières en France et en Europe, et ce chiffre est sans doute en-deçà de la réalité. La pigiste pour Le Monde et The Guardian souhaite remonter à la source du trafic en s’appuyant sur de nombreuses ONG locales -celles citées dans le roman existent bel et bien- et de Free Queens of Nigeria, seule fictive, via sa cofondatrice Favour Egbe. Quelques semaines plus tôt, deux flics de la SARS (une branche bien pourrie, elle aussi, de la police nigériane) balancent les corps de deux jeunes femmes “étranglées et jetées au milieu des poubelles comme de vulgaires déchets”. Quant au brave flic de la Federal Road Safety, le sergent Oni Goje, il découvre le corps nu d’une des victimes et n’a plus qu’une obsession: lui donner un nom.
Cynisme
Entre juin 2019 et jusqu’en octobre 2020 et la répression meurtrière contre les violences policières et sexuelles lors d’une manifestation soutenue par la popstar Beyoncé, Marin Ledun livre un récit sec, tendu et sous adrénaline pour un portrait sans concession d’un pays certes en perdition mais, surtout, de ce géant brassicole et de sa politique commerciale hyper agressive en partie basée, nous le disions, sur l’exploitation sexuelle. Sans y avoir mis les pieds pour cause de Covid et surtout parce qu’un garde du corps coûte 600 euros la journée, l’auteur s’est tellement renseigné qu’on jurerait qu’il s’est rendu au Shrine, le mythique club de Fela Kuti. Corruption, galerie de salopards, meurtres, cynisme des grands groupes industriels -qui renvoie à son roman Les Visages écrasés (2011)- mais aussi une lueur d’espoir amenée par toutes ces femmes insoumises et militantes: Free Queens possède tous les ingrédients d’un tout grand thriller immersif et addictif.
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