Critique | Livres

Marc Dugain, dans l’œilleton de la fiction pour mieux parler de la vaste réalité géopolitique

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Marc Dugain: © Samuel Kirszenbaum

Marc Dugain, Albin Michel

L'Avion, Poutine, l'Amérique... et moi

368 pages

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Version 1.0.0
Fabrice Delmeire Journaliste

Au travers d’un fascinant jeu de dupes entre réalité et fiction, Marc Dugain raconte sa transformation en écrivain. Entre révélations et obsessions face aux mensonges d’État couve un thriller haletant.

Fin des années 80, aimanté par les États-Unis, le narrateur (double de Marc Dugain) vit sa mutation à New-York comme une consécration. « Deal maker » pour une banque, il est en charge du domaine aéronautique, marché alors en pleine expansion. Cherchant à empocher assez d’argent pour conquérir au plus vite son indépendance, le jeune trentenaire épouse de manière schizophrène une vie factice où le capitalisme triomphant fait loi. « Dans l’ombre se profilait la mondialisation. J’avais lâchement abandonné l’idée qu’un autre monde était possible. » Au milieu d’une meute de jeunes loups sans scrupule, le banquier devient l’amant de la redoutable Julia McAra, beauté froide surplombant tout le département. « – Et on ne dîne pas? – On a déjà assez parlé, non? » Après un drame familial, celui qui commence à rêver d’écrire pour se « délivrer de la réalité » est sommé de quitter le territoire. Parachuté dans une filiale de Genève, il enquille désormais les allers-retours de l’autre côté du rideau de fer, organisant le troc d’avions-cargos russes contre des tonnes de céréales africaines. C’est alors qu’il est approché par la CIA, tout en étant la cible des services secrets russes… « Au moins, si plus tard te venaient l’envie et le talent d’écrire, une chose est certaine: tu auras quelque chose à raconter. »

Se délivrer de la réalité

Ayant quitté l’aviation peu avant le 11 septembre, devenu écrivain à plein temps, Marc Dugain transparaît davantage dans la seconde moitié du livre, tsunami de révélations sur les enquêtes qu’il consacra à la tragédie du sous-marin Koursk comme à la disparition intrigante du vol de la Malaysia Airlines… Ce qui lui aurait valu d’être dans le viseur du MI6. Entrelaçant histoire personnelle et autofiction, l’auteur de L’Emprise prend un malin plaisir à brouiller les pistes à la manière du Lunar Park de Bret Easton Ellis. Dans un thriller où géopolitique et espionnage font bon ménage, « l’écriture n’est jamais loin de l’imposture, un travail obsédant visant à en démonter les mécanismes les plus secrets. » Évoquant nombre de ses livres précédents, le destin de son grand-père durant la Première Guerre mondiale (La Chambre des officiers), l’assassinat des deux frères Kennedy (« plus vieille passion intellectuelle »), Dugain ne cesse de clamer son moteur: l’indignation devant le mensonge d’État. Du reste, il ne ménage ni sa personne (troubles obsessionnels, lâcheté masculine, crise existentielle lancinante) ni son talent. Déployant une écriture claire au service d’un rythme haletant, L’Avion, Poutine, l’Amérique… et moi captive de bout en bout. On le referme en songeant à la phrase signature du duo de mentalistes Myr et Myroska: –s’il y a un truc, c’est encore plus fort!  « Il faut se méfier des romans: à force de mentir, ils finissent par exprimer une vérité. »

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