ROMAN | Pour son onzième roman, Luc Lang plonge un cadre borné dans l’enfer des tensions intimes. Malheureusement, l’exercice tourne court.
Candidat malheureux à la dernière liste du Femina (contre Le Garçon de Marcus Malte), après avoir figuré puis été retiré des listes du Goncourt, du Décembre, du prix Fnac et de celui du Monde, le onzième (très) épais roman de Luc Lang désarçonne à plus d’un titre. L’auteur, qui a déjà prouvé son goût prononcé pour sa propre mise en danger, y raconte, en trois « livres », la sinistre aventure de Thomas, cadre supérieur un brin caricatural confronté, tandis qu’il oeuvre au bureau pour la traçabilité permanente de tous les employés amenés à travailler en extérieur, au mystérieux accident puis à la disparition brutale de sa femme. Cet événement le projette en semi-aliénation, seul avec une multitude de questions auxquelles l’auteur s’amusera d’ailleurs à ne pas systématiquement répondre.
Feignant d’ingurgiter les couleuvres marketing qu’il prodigue à ses clients industriels paranoïaques, ce personnage, antipathique malgré la douleur qu’il éprouve, ajoute des pisteurs à l’équipement du personnel « volant », s’indigne que son frère berger ne se décide point à truffer de puces ses ovins, tout en se contentant visiblement de ne rien connaître des lourds secrets de l’ensemble de ses proches: les amours passées de la mère de ses enfants, de sa belle-mère; les rapports tendus entre sa propre génitrice et son défunt paternel; les sentiments profonds entretenus par ses deux grands frère et soeur à l’égard de ces derniers. Non, pour Thomas avant le drame, le principal consiste à grimper les échelons de sa boîte, voire à entrer au capital, et à assurer le confort d’enfants que ni lui ni son épouse -elle aussi « winneuse » autoproclamée- ne fréquentent réellement.
Points de suspension
Ce décalage entre flicage professionnel et profond désintérêt vis-à-vis des démons dévorant ses proches était prometteur, tout autant que l’art propre à Luc Lang de livrer de longs paragraphes naturalistes blindés de ressentis sensoriels. Évidemment, le basculement annoncé, dans l’existence de Thomas, d’un recroquevillement entre oeillères à une soif ardente de compréhension du petit monde qui l’entoure -avec exil sur les traces des membres de sa fratrie, des Pyrénées à l’Afrique-, avait de quoi séduire les candidats au burn-out que nous sommes tous en puissance. Malheureusement, c’était sans compter sur un style très inégalement maîtrisé, entre impressionnants coups d’éclat et interminables passages indigestes, que l’usage systématique et quasi industriel des points de suspension pour signifier une pensée interrompue par une relance de dialogue rend proprement éprouvants. Pour le dire autrement, le lecteur est amené à redouter au même titre que Thomas les moments où ce dernier n’est pas seul. Car alors, les échanges plats, plutôt maladroits dans leur traitement stylistique viennent interrompre de la pire des manières possibles des envolées poétiques et sensorielles susceptibles à juste titre de faire battre des mains les amateurs de « nature writing ». Or, manque de pot, le personnage principal de Luc Lang dispose d’assez peu de moments solitaires, ce qui fait tristement pencher la balance du mauvais côté.
AU COMMENCEMENT DU SEPTIÈME JOUR DE LUC LANG, ÉDITIONS STOCK, 544 PAGES. **
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