Mikaël Hirsch, éditions Le Dilettante
Les Corps flottants
256 pages
Emboîtant roman de mœurs et science-fiction, Mikaël Hirsch se joue du multivers pour interroger la construction romanesque. Vertiges.
Coupé du monde dans un labo vestige de la guerre froide, l’astrophysicien Isaac Bahir tente de révéler l’existence d’une matière invisible échappant à toute analyse. Propulsé dans le passé, le chercheur est amené à revivre plusieurs fois l’éclipse totale de 1999 où, en compagnie de ses amis Miranda et Walter, ils ont enterré une capsule temporelle à destination de leurs moi futurs. Plongeant à travers les couloirs du temps, Isaac devient spectateur de plusieurs hypothèses quantiques quant à son destin et celui de ses camarades. Miranda s’incarne tantôt conservatrice de musée, tantôt danseuse de West Coast Swing recrutée en Grèce par Médecins sans Frontières. Trentenaire, Walter devient tour à tour spationaute grabataire ou prof de collège “en proie aux affres du verlan, de l’islamisme et de la fonction publique”. Isaac se découvre quant à lui gourou priapique dans une ferme pour électrosensibles. Les trois sont amenés à croiser la route d’un ancien souffre-douleur du lycée, Éric Benedetti, leur némésis devenu journaliste d’investigation ou écrivain à succès aveugle (voire futur leader du parti Reconquête?). Nom de Zeus!
Solitude existentielle
Imaginez le film Un jour sans fin (A Groundhog Day) relaté par Houellebecq et filmé par Christopher Nolan… Vous aurez un petit aperçu de ce que réserve ce roman puissant se retournant plusieurs fois comme un gant. Déjà remarqué pour l’audace de ses récits enchâssés (Le Syndrome du Golem), Mikaël Hirsch manipule la création romanesque tel un Rubik’s Cube. Épousant l’infinité de possibles qui s’offrent à lui, il triture l’exercice avec une curiosité gourmande. “On fait des choix et toutes les portes se referment, sauf celle qu’on a empruntée. Peu importe que ce soit la bonne.” S’insinuant aux confins de la physique quantique, brassant le déclin des utopies à la façon d’un T.C. Boyle, la matière noire de son nouvel essai lui confère de surcroît un double-fond “méta”.
Convoquant Chris Marker ou Philip K. Dick, Hirsch joue les apprentis d’une chimie où la mécanique des fluides entremêle angoisses mal digérées et désirs inassouvis. Lorsqu’il aborde les transfuges de classes, la misère sexuelle ou le voyeurisme morbide des réseaux, l’écrivain touche du doigt la vista d’un Houellebecq qui aurait rajeuni de 20 ans. Dilatant les paraboles sur le libre arbitre dans un monde contraint par le déterminisme social et les circonstances, ce roman joueur distille une poésie acide qui fait tourner la tête. “Le monde entier avait pourtant l’arrogance de continuer à vivre sans moi.”
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