Écrivain quadragénaire, particulièrement prolifique depuis 2010, Mikaël Hirsch signe un septième roman une nouvelle fois merveilleux de style et d’intelligence.
S’il est une fonction contrariée que Mikaël Hirsch, depuis Le Reprouvé (2010) ou le saisissant Avec les hommes (2013), aime à disséquer, c’est bien la sienne: celle de l’écrivain, du chroniqueur, du témoin boulimique et parfois malhonnête des existences édifiantes ou pitoyables de tout ou partie de ses contemporains. S’il est une thématique qui lui tient à coeur, depuis Notre-Dame des Vents (2014) ou le merveilleux Libertalia (2015), c’est la dissolution de micro-communautés, d’identités locales comme d’aspirations individuelles dans un Grand Tout globalisant, motivé seulement par l’appât du gain ou la gloriole individuelle d’entrepreneurs-aventuriers déconnectés des réalités. Dans le nouveau Quand nous étions des ombres, il concentre à merveille l’ensemble de ses marottes, en alternant d’un chapitre sur l’autre deux actions, deux temporalités et deux destins dont on se doute rapidement qu’ils ne tarderont pas à se rejoindre: d’un côté, un écrivain, « voyeur émoustillé par sa propre insignifiance« , passé maître dans l’art de prêter sa plume à n’importe qui. Ce nègre professionnel se verra soudain ligoté au devenir de François Sauval, « Che Guevara de l’inutile, guérillero sans cause« , millionnaire blasé au point de ne plus vouloir que cumuler les records sportifs, les projets grandioses et vains. De l’autre Cassandra Black, bientôt « conservatrice du musée des ombres« , une linguiste empathique lancée sur les traces de la tribu des Charahuales, dont les membres comme le très original parler s’avèrent en voie de disparition, du côté d’une Amérique centrale laminée par les grandes exploitations bananières. Dans sa besace, une liste de 97 mots seulement, vestiges d’un langage et d’une culture entière, retranscrits aux XIXe siècle par l’explorateur Karl Hermann Berendt.
Échotier du Pas-Grand-Chose
Quand le premier s’attache à un « art de la biographie » qui « consiste précisément à donner une signification à des vies qui, par définition, n’en ont pas », se réalise en s’effaçant au maximum derrière les absurdes exploits de son maître, la seconde vient sans grande illusion tendre son dictaphone à la dernière représentante d’une peuplade sacrifiée par la modernité, au chant du cygne d’une histoire longue, sur plusieurs siècles, que l’auteur nous dévoile avec une sombre élégance: « Combien de larmes, combien de morts et combien d’éclats de rire faut-il pour alimenter une note de bas de page dans une sombre thèse de doctorat portant sur les langues mésoaméricaines? »
Bientôt, l’entrepreneur vedette, en bout de course parce que « le simple fait de ne plus occuper la une des journaux [confine] déjà l’idée de la mort », se met en tête de racheter un territoire, vendu par un Honduras ruiné par la géopolitique et l’avidité capitaliste. Ainsi, les routes de l’échotier du Pas-Grand-Chose et de la reporter du Bientôt-Plus-Rien se croisent enfin, s’injectant mutuellement un peu de consistance, avec des conséquences radicales autant que désastreuses. Écrivain à la virtuosité méticuleuse, grand angoissé probable transmutant la langue en or dès qu’il s’installe à son pupitre, Mikaël Hirsch signe ici un nouvel ouvrage aussi dense que bref, salutaire à plus d’un titre, auquel on souhaite cette fois de faire plus que figurer sur les listes des grands prix d’automne.
ROMAN DE MIKAËL HIRSCH, ÉDITIONS INTERVALLES, 190 PAGES. ****
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