Jerry Stahl, éditions Rivages/Poche
Permanent Midnight
512 pages
Les éditions Rivages rééditent les mémoires de Jerry Stahl. Les tribulations trash d’un journaliste et scénariste toxico dans l’enfer d’Hollywood.
Je sais que je brûlerai en enfer”, admet Jerry Stahl, juste après avoir raconté s’être régulièrement shooté à l’héroïne devant sa fille alors encore bébé. Ce genre de passages, effrayants, mais racontés avec un naturel (et un humour) désarmant, pullulent dans Permanent Midnight. Certains n’ont appris l’existence de ce livre (et du sieur Stahl) qu’à la faveur de la publication, en janvier de cette année, du tout aussi hilarant et triste à la fois Nein, Nein, Nein!. Alors, ici ou là, quelques-uns susurraient les deux mots du titre de ce livre que seuls une poignée de francophones auraient lu, avec un enthousiasme non feint. Publié en 1995, Permanent Midnight est rapidement devenu culte aux États-Unis. Traduit en français en 2010 aux éditions 13e Note, il était introuvable (ou alors à des sommes aussi indécentes que son contenu) depuis des années. Enfin réédité, on peut le dire: il est bien le livre barré et jouissif promis.
Dans ses mémoires, Stahl semble débiter son récit en temps réel et chaque nouveau chapitre est introduit par quelques considérations en italique sur l’état de son addiction (accro, en manque, plus ou moins clean…), sur la chronologie quelque peu abstraite de la narration, ou le degré de gravité de sa dépression.
Avec amour
Car, soyons franc, Jerry Stahl passe son temps à y débiter des horreurs -comme son enfance compliquée ou le suicide de son père. Cela dit, il assure suivre les conseils de l’un de ses écrivains préférés, le regretté Hubert Selby Jr., alors ami personnel, et lui aussi expert ès substances illégales et opiacées: “Assure-toi, quand tu écris sur tout ça, de le faire avec amour”. Alors, il donne tout et révèle notamment la teneur de son rêve récurrent (bien sûr pareil à un cauchemar), prend le lecteur à témoin, raconte ses ébats dépravés et panique en lettres capitales… Ce n’est jamais voyeuriste, et malgré l’humour, toujours sincère.
Il conte aussi -entre deux scènes épiques de fix aux waters- ses débuts en tant que journaliste passé par Esquire, Vice ou… le Hustler du fameux Larry Flint (“Sa ressemblance avec un fœtus nourri à la graisse me frappait à chaque fois”). Presque par hasard, il enchaînera avec le métier fort lucratif de scénariste pour la télévision. Après Alf ou Clair de lune, il écrira même pour le Twin Peaks de David Lynch. Rendu en retard et tâché de sang, son script passera à la trappe, mais il sera curieusement tout de même crédité au générique -il aura sa revanche avec un caméo dans Inland Empire.
Crus, trash, drôles et très second degré, ces inénarrables Mémoires des ténèbres (leur titre dans la traduction de 2010) sont aussi très touchants. Jerry Stahl avait prévenu dès le prologue: son livre est “moins une œuvre de mémoire qu’un exorcisme”. C’est sans doute pour cela qu’on brûlera plus d’une fois de prendre l’attachant Jerry dans ses bras.
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